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Libération
Découverte

Le livre qui ouvrait des portes avec ses pages multisensorielles

Le handicap au quotidiendossier
S’adressant aussi bien aux non-voyants, qu’aux malvoyants et aux voyants, cet incroyable ouvrage d’art en relief s’accompagne d’une bande-son et d’un parfum.
(Fanny Michaëlis/Libération)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 23 novembre 2024 à 0h55

La ramure s’épanouit sur la couverture. On peut sentir les branches en relief, admirer la silhouette en contraste. L’arbre dévoile son envergure en première page du livre le Vénérable Mélèze. Cet ouvrage d’art est le premier accessible à tous : non-voyants, malvoyants et voyants. «On lit ensemble, expose son auteur, Gilles Mottet. Tout le monde se retrouve dans ce livre. Vous le sentez, vous l’écoutez, vous le touchez.» L’histoire se raconte en effet en braille, en grands caractères et en relief et est accompagnée d’une œuvre musicale et d’un parfum. L’aventure est donc visuelle, tactile, auditive et olfactive. Tournons les pages.

Le récit commence par un sale temps de fin d’été. L’orage gronde au-dessus de sa cime. Le «vénérable mélèze» est foudroyé. L’éclair laisse le haut du tronc «carbonisé», avec «un orifice creux». De ce handicap vont naître une rencontre et une musique. Un autre jour de tonnerre, deux fillettes s’abritent de la pluie sous ses branches. Elles découvrent que le mélèze chante.

Le lecteur plonge dans une vallée montagneuse des Alpes-Maritimes. Il suit les aventures de cet arbre, résilient, vieux de 500 ans. «La question, c’est : comment amener les arbres aux non-voyants ? Comment donner accès à la nature à tout le monde, comment s’approprier les parcs ?, développe Gilles Mottet, également flûtiste intervenant en milieu scolaire. On milite pour l’inclusion. Ça ouvre des portes gigantesques.»

Selon l’auteur, seuls 5 % des ouvrages édités annuellement en France sont également publiés en braille. Les éditions de l’Arboretum ont été créées spécialement pour le Vénérable Mélèze. Et la quarantaine de pages du livre, bijou d’ingéniosité, ont été complexes à produire. Il a fallu réaliser le relief tactile, le gaufrage, le contraste, le braille, le gros caractère, la musique, le parfum… Une quinzaine de personnes ont ainsi planché sur sa conception pendant trois ans. Anne est une lectrice non-voyante. Elle témoigne de son «bonheur de lire de (s) es propres doigts», de «découvrir une odeur puissante» : «Je touche les différentes gravures et je peux identifier assez facilement la forme du mélèze dans son environnement», se réjouit-elle. Au-delà de l’aspect technique, le Vénérable Mélèze est très élégant avec son papier italien écru et ses grandes spirales mordorées. Il n’attend qu’une étagère pour y être exposé. Depuis sa publication en mai, le livre écume les salons aussi bien littéraires que paysagers, et qui ne sont en rien spécialisés dans le handicap. Il est vendu dans les librairies généralistes.

A Nice, l’école publique spécialisée Le Château accueille des enfants déficients visuels ou aveugles. Six exemplaires sont à disposition des écoliers. Jean-Luc Gagliolo, élu municipal et adjoint à l’éducation, était présent lors de la remise de l’ouvrage. «Les enfants étaient éblouis, rapporte-t-il. Ils ont spontanément lu avec émotion les différentes facettes de l’ouvrage.» Gilles Mottet aimerait tirer son livre à 2000 exemplaires. Après, l’auteur rêve d’un deuxième tome, basé sur la transhumance et les moutons.

On a fini de faire glisser le gaufrage sous les doigts, la musique dans les oreilles et le parfum sous le nez. Le voyage avec l’arbre touche à sa fin. On tourne la dernière page : un moulage de l’écorce de mélèze referme la lecture.

Le Vénérable Mélèze, de Gilles Mottet, éditions de l’Arboretum, 48 pp., 40 €.