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Climat Libé Tour Marseille : initiative

Le mezcal, un bon cru pour la biodiversité au Frioul

Climat Libé Tourdossier
Les agaves arrachés dans le parc national des Calanques afin de favoriser les espèces locales servent à fabriquer une eau-de-vie aux faux airs mexicains. Une idée du designer Axel Schindlbeck venue tout droit d’Oaxaca.
(Simon Bailly/Coco)
publié le 6 décembre 2023 à 15h57
(mis à jour le 6 décembre 2023 à 16h18)
Informer, débattre et envisager des solutions au plus près des réalités et des enjeux. Rendez-vous le samedi 16 décembre à la Friche la Belle de Mai, à Marseille (Entrée libre sur inscription dans la limite des places disponibles), pour la sixième et dernière étape de l’année 2023 du «Climat Libé Tour».

Tous ces agaves vert bleuté aux longues feuilles épaisses… dans la tête du designer et «bon vivant» Axel Schindlbeck, l’image fait tilt lorsqu’il se balade au Frioul : «Je me suis dit, il faut qu’on en fasse du mezcal !» Le garçon revient d’un voyage solo au Mexique au moment où l’arrachage de cette plante exotique envahissante débute à peine au parc national des Calanques. A Oaxaca, il s’émerveillait de ces centaines de productions artisanales alignées derrière les comptoirs des mezcalerias. Alors pourquoi pas ici ? «A la base, c’est juste cette idée», raconte-t-il. Avec Justine Batteux, sa consœur, ils entendent parler de «Life Habitats Calanques». Lancé pour cinq ans en 2017, ce programme vise à restaurer et renforcer la biodiversité au sein du parc.

Le fiasco : trop chaud, trop rapide

Exit donc l’agave ou le figuier de Barbarie : ces plantes venues d’ailleurs, échappées des jardins particuliers, sont arrachées au profit d’espèces locales en péril, telle l’astragale de Marseille. Le parc national cherche à expérimenter des pistes pour valoriser tous ces déchets verts. Autant dire que le projet d’une «eau-de-vie d’agave» tombe à point. Le premier essai, en 2019, est «une catastrophe», rigole encore Axel Schindlbeck. En plein cagnard, la cuisson au feu de bois de kilos de cœurs d’agave dans un four tricentenaire d’une boulangerie de Cucuron (Vaucluse) vire au fiasco : trop chaud, trop rapide, sans compter derrière l’énorme nettoyage avant de refaire du pain. Seize bouteilles collectors sortent tout de même. «La difficulté, par rapport à du raisin par exemple, c’est que l’agave contient un paquet de sucres non fermentescibles qu’il faut donc cuire longtemps et à basse température, la manipulation n’est pas simple», explique le distillateur Martial Berthaud, associé à l’aventure.

L’année d’après, changement de méthode. Martial Berthaud rapatrie toutes les opérations dans son Atelier du bouilleur, à Autignac, dans l’Hérault. «On s’est fabriqué une pièce sauna qu’on alimente aux sarments de vigne», poursuit-il. Une cuisson vapeur en quelque sorte, qui révèle une note de dégustation puissante, herbacée et restant longtemps en bouche. Sérigraphiées et numérotées, les bouteilles de ce cru s’appellent «Josiane», du nom d’un tag visible sur un rocher de la plage du Prophète à Marseille. En 2021, l’eau-de-vie, la première d’agave en Europe, remporte une médaille d’or au Craft Spirits Berlin, important rendez-vous pour les spiritueux. Reste que le rendement est maigre : «Pour 1,2 tonne récoltée, on fait environ 150 bouteilles de 35 cl.»

«La distillation paysanne est la plus intéressante»

«L’idée n’est pas de faire une filière mezcal, c’est un projet que l’on mène quand on peut, quand on en a envie, et avec un peu d’opportunisme aussi», précise Axel Schindlbeck. En effet, au Frioul, le parc national des Calanques valorise à présent… les agaves en compost pour les habitants. Après une opération d’arrachage en partenariat avec la SNCF sur la ligne de la Côte bleue, les derniers agaves utilisés dans l’eau-de-vie proviennent d’un vallon proche de la distillerie. «L’idée d’éradiquer l’agave, cela ne mène à rien, on ne lutte pas contre le réchauffement climatique, estime Martial Berthaud. Mais une valorisation de ce produit est possible, et de toutes les méthodes proposées, la distillation paysanne est la plus intéressante tant elle permet de transformer un déchet vert en un produit noble.» Dans son escarcelle, en phase de recherche, une autre eau-de-vie pourrait voir le jour, cette fois à partir de raquettes de figues de barbarie.