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Climat Libé Tour Paris: retro

Le périf parisien : un dessein ancien

Bouclé en 1973, le périphérique de Paris est le résultat d’un long cheminement politique, économique et urbain, guidé par le développement concentrique de la capitale et imprégné de son histoire militaire.
Travaux sur le boulevard périphérique parisien, au niveau de la Porte de Vitry (XIIIe arr.), le 4 décembre 1966. (Claude Vigna/Roger-Viollet)
publié le 25 mars 2024 à 10h49
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Frontière brutale et caduque pour certains, infrastructure cohérente et indispensable pour d’autres, les 35 km (et 38 portes) du périphérique parisien rythment depuis cinquante ans le débat urbain autant que le quotidien de ses millions d’usagers. L’affaire est quantitativement sérieuse : entre 180 000 et 250 000 véhicules l’arpentent chaque jour, soit plus d’un million de déplacements. Des essaims d’automobilistes qui, tout empatouillés qu’ils sont dans cet espace paradoxal et volontiers infernal, ne se doutent pas qu’ils orbitent en fait sur un anneau de bitume dont l’empreinte, pluricentenaire, ne doit rien au hasard…

Son tracé lui-même est un héritage lointain. Le périf s’ébat ainsi sur l’emprise d’une autre infrastructure qui, jadis, devait défendre Paris : l’enceinte de Thiers, érigée entre 1840 et 1844. Ces fortifications, voulues par le roi Louis-Philippe sont les dernières d’une longue série. «Le tracé du périf s’inscrit dans une histoire des frontières de Paris, qui commence avec Philippe Auguste et son enceinte bâtie à la fin du XIIe, et se termine avec l’enceinte de Thiers au XIXe», souligne Guy Burgel, professeur de géographie urbaine à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. «Ces murailles, qui suivent la croissance concentrique de la capitale, remplissent alors trois fonctions : militaire (protéger la ville), politique (lui donner une limite) et économique (fonder l’octroi, le droit d’entrée des marchandises).»

Désengorger des grands boulevards

L’enceinte de Thiers, dont les abords ont été déclarés zone non ædificandi (inconstructible) pour raison militaire, est démolie en 1919, car jugée obsolète. Elle laisse derrière elle un paysage urbain et social hétéroclite, investi de longue date par les exclus de Paris, peuplé de jardins, de gargotes et de baraquements : la «Zone». C’est là, sur ce ruban de 400 mètres de large qui ceint la ville de si près, que viendra se loger, opportuniste, le périf.

Son heure n’est toutefois pas encore venue… Dans un premier temps, on y projette du logement. Emerge ainsi dans les années 30 une ceinture rouge, comme la brique des 40 000 «HBM» (habitations à bon marché) qui constellent bientôt la Zone. C’est finalement dans les années 40, sous Vichy, que se formalise l’idée du périf. Objectif : désengorger des grands boulevards. Un certain René Mestais, chef des services techniques de topographie et d’urbanisme, dessine en 1943 un boulevard circulaire pour Paris. Fonctionnel, le dessein est aussi, à sa manière, défensif : «Eviter à tout prix que Paris ne coule dans une banlieue qui l’enliserait à nouveau pour un siècle», plaide l’ingénieur ; et «que les étrangers abordant l’Ile-de-France puissent dire : voici Paris, sans le confondre avec Levallois, Aubervilliers, Pantin, Vitry ou Malakoff». La guerre stoppe tout net cette ambition.

«Pur produit de la république gaullienne»

La France d’après-guerre, bâtisseuse intrépide, la ressuscite. La construction est actée en 1954 par le Conseil de Paris, un tronçon initial validé (entre les portes d’Italie et de Châtillon), et les premiers coups de pioche assenés dès 1956. «Le périf est un pur produit de la république gaullienne et des Trente Glorieuses, témoigne Guy Burgel. L’accès à la voiture, perçue comme un immense progrès, devient un projet quasi civilisationnel.» Les automobiles se multipliant comme des petits pains sur les boulevards, le contournement devient incontournable. L’enjeu est aussi économique, ajoute le géographe : «Favoriser les transferts de population d’Est, où réside une main-d’œuvre nombreuse, en Ouest, où sont beaucoup d’emplois.» (1)

Le gris matin du 25 avril 1973, dix-sept ans de travaux et deux milliards de francs plus tard, le Premier ministre Pierre Messmer inaugure – en autocar — le dernier tronçon de périf, trois kilomètres entre la porte Maillot et la porte d’Asnières. La boucle est bouclée.

(1) La petite ceinture ferroviaire, double voie de 32 kilomètres encerclant Paris à l’intérieur des boulevards des Maréchaux ayant la même finalité.