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Le pouvoir de l’imaginaire : du «Futurama» de 1939 au monde d’aujourd’hui

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
L’urbaniste Hiba Debouk revient sur l’exposition universelle de New York et la prophétie autoréalisatrice de Bel Geddes, qui est un exemple inspirant pour imaginer la construction d’un monde plus adapté aux enjeux futurs.
«Futurama», exposition universelle sur le «Monde de demain» à New York en 1939. (Bettmann Archive)
par Hiba Debouk, directrice déléguée Territoires à l'Arep (Architecture Recherche Engagement Post-carbone)
publié le 24 septembre 2024 à 1h06

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

En 1939, s’est tenue à New York l’exposition universelle sur le «Monde de demain». Parmi les attractions les plus courues, «Futurama», un pavillon conçu par le designer industriel Norman Bel Geddes et parrainé par General Motors, dévoile une maquette géante d’une Amérique du futur, traversée par les autoroutes et couverte de gratte-ciel, d’aéroports et de vastes banlieues… Assis dans des fauteuils motorisés, les visiteurs sont invités à voyager dans un paysage futuriste d’un territoire façonné par le progrès technique. Le concept séduit et est repris en 1964 dans «Futurama II», dont l’horizon cible se précise et n’est autre que… 2024.

Aujourd’hui, on ne peut qu’être frappé par la ressemblance de Futurama avec la réalité. Etait-ce donc une prophétie ? La réponse est sans doute plus nuancée.

Futurama relève d’un exercice prospectif, qui a su combiner une part analytique du présent et une part projective dans le futur. Bel Geddes s’est ainsi appuyé sur des tendances existantes, comme l’essor de l’industrie automobile, l’émergence de la société de consommation, la croissance démographique… pour esquisser un scénario possible de l’évolution de la composition sociospatiale de l’Amérique. Mais tout en étant la représentation d’un méta-récit technophile, Futurama est aussi une «rêverie active», un outil d’influence sur le futur et une véritable preuve du pouvoir des imaginaires dominants. Car l’imaginaire n’est pas une évasion, mais une matière première de la transformation de l’inconscient collectif. La prospective y a ainsi toujours puisé les ressources nécessaires pour guider les décisions.

De nos jours, face à la crise écologique, il n’est pas utile de rappeler que la doctrine de production de l’espace imaginée par Bel Geddes révèle bien des limites ; que ce soit dans son rapport au vivant et aux écosystèmes ou dans sa dépendance à l’automobile et aux énergies fossiles. Le modèle même de société que véhicule Futurama, entre gigantisme et individualisme, porte l’empreinte de la rupture entre l’humain et son environnement. Mais la prophétie autoréalisatrice de Bel Geddes demeure un exemple inspirant. Car il nous faut de cette audace pour écrire le méta-récit écologique. Il nous faut ces représentations qui produisent du réel.

Le défi du renouveau des imaginaires est toutefois de taille parce qu’il est sans doute bien moins hardi de prédire des évolutions technologiques d’un monde qui va plus vite et plus loin… que de tenter d’esquisser un avenir qui composerait avec l’héritage reçu, la complexité du vivant et les incertitudes climatiques et géopolitiques.

Un défi redoutable certes, mais enthousiasmant. Car dans un monde où une partie de nos futurs est déjà dictée par le changement climatique, l’écriture de l’autre partie de l’histoire devient une source d’inspiration pour nos imaginaires. Et la possibilité de construction d’un monde plus adapté aux enjeux futurs nous permet de nous raccrocher à l’espoir d’un avenir désirable : rien n’est à perdre, tout est à gagner.

Dans cette nouvelle prospective, les concepteurs portent une responsabilité : nous devons relever ce défi d’imaginer un futur positif malgré les contraintes. Et cela nous enjoint à être inventifs mais de s’appuyer sur nos connaissances pour nourrir nos imaginaires. Cela nous invite également à décloisonner l’exercice, en y associant les experts mais aussi les politiques, les citoyens, les créatifs… Car la question écologique est collective et systémique, et ne progressera qu’en ouvrant le débat sur la diversité des expériences.