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Libération
Beau livre

«Le Roman de Chamonix», mont Blanc et merveilles

Une saison à la montagnedossier
Accompagné d’images d’archives, le récit de Sophie Cuénot retrace la mythologie de la ville alpine, au pied du Mont Blanc, faite d’exploits et de tragédies.
Des touristes sur la mer de Glace, en 1910. (Auguste Couttet)
publié le 1er décembre 2023 à 23h19

Avec le Roman de Chamonix, Sophie Cuénot nous emmène dans une genèse de la ville, improbable et brillante. En exergue, cette description, qui a tout de la prévision, d’un voyageur précurseur, le grand Victor Hugo, dans En Voyage dans les Alpes et les Pyrénées (1829) : «Songez à cette frappante accumulation, dans un cercle si restreint, de tant d’objets uniques à voir, et vous croirez en pénétrant dans la vallée de Chamonix, entrer […] dans une sorte de laboratoire divin où la Providence tient en exergue un échantillon de tous les phénomènes de la création, ou plutôt dans un mystérieux sanctuaire où reposent les éléments du monde invisible.»

Construction d’une infrastructure hôtelière

Agrémentée de splendides images d’archives – la pellicule des frères Bisson imprimant en 1 860 le passage de Napoléon III et de sa suite sur la mer de Glace –, toute la mythologie de Chamonix et du mont Blanc est réunie dans ces pages. Des premières ascensions sur une montagne interdite (elle charriait des blocs de glace et de pierre, faisait dévaler des avalanches, les poches d’eau des glaciers rompaient, emportant tout sur leur passage, comme en juillet 1892 où quelque deux cents personnes sont mortes noyées sous le glacier de Tête Rousse). Le chapitre huit ne s’intitule pas «Comédies et tragédies» pour rien…

En 1921, le maire Jules Lavaivre, décide de rebaptiser sa commune «Chamonix-Mont-Blanc» : «On nous confond avec Chamoux, en Savoie, le courrier se perd souvent. D’autres qui croient que Chamonix est en Suisse.» On assiste à la naissance de la Compagnie des guides, à celle des secouristes de montagne, ancêtre des PGHM (pelotons de gendarmerie de haute montagne), on y admire les arabesques sur la glace d’Andrée Joly et Pierre Brunet, médaille de bronze des premiers Jeux olympiques d’hiver en 1924 (ils gagneront l’or quatre ans plus tard aux Jeux de Saint-Moritz). On y assiste à la construction d’une infrastructure hôtelière qui attirera une clientèle huppée. «Architecture et démesure néoclassiques, le Majestic, ouvert en 1914 devient le plus grand palace de Chamonix.»

«Majestueux équilibristes»

Le livre raconte également les grands drames de l’alpinisme. Décembre 1956, les alpinistes Vincendon et Henri ne reviendront jamais. Août 1961, un chasseur à réaction sectionne les câbles du téléphérique dont certaines cabines s’écrasent. Bilan : six morts. Juillet 1964, hécatombe à l’aiguille verte, une avalanche tue treize professeurs et stagiaires de l’école de ski et d’alpinisme. Heureusement, il y a aussi les premières. «Si ce jour-là, Piccard engage Balmat pour l’accompagner comme guide jusqu’au sommet [ils l’atteindront le 8 août 1876, ndlr], c’est bien une cordée de deux passionnés qui s’élance. “Cordée” est un bien grand mot, car ils n’ont aucun équipement d’alpinisme, sinon un grand bâton ferré. Pas de corde pour alourdir le sac, mais quelques instruments scientifiques rudimentaires, car le docteur aimerait effectuer quelques mesures, s’ils arrivent à leurs fins.»

Le chapitre XI, qu’on aurait souhaité un chouïa plus long, s’intitule «Réinventer la montagne», mais curieusement aborde peu la question du dérèglement climatique et des rochers qui tombent, malgré le joli dessin réalisé par Samivel, qui s’intitule opportunément Aujourd’hui pour demain, sauvons la montagne. On y croise les guides Frédéric Dégoulet et Benjamin Ribeyre, «majestueux équilibristes sur les arêtes de Rochefort», auteurs d’un tour complet de la mer de Glace par les arêtes et les sommets qui l’entourent, en juillet 2022. «Il est temps de se remettre en route car la journée n’est pas terminée, ni les difficultés. L’arête Midi-Plan est en piteux état, mélange de terre, de sable et de glace noire. Jamais les deux guides n’ont vu la montagne dans un tel état.» Et Sophie Cuenot de conclure poétiquement : «Loin du tumulte, le soleil couchant rougit les aiguilles qui ont vu passer ces deux hommes discrets, conscients de la fragilité d’un décor qui n’a plus rien d’immuable.»

Le Roman de Chamonix de Sophie Cuénot, «Guérin», éditions Paulsen, 312 pages, 56€.