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La cité des conférences

«Le sanglier nous permet de réfléchir à notre définition du sauvage»

Les conférences de la Cité des sciences et de l’industriedossier
Aujourd’hui, il nous faut lutter contre tout ce qui détruit les cultures ou provoque des dégâts, tout en préservant la biodiversité.
Un petit troupeau de sangliers près de Toulouse, en décembre 2021. (François Laurens/Hans Lucas via AFP)
publié le 20 avril 2024 à 4h08
Libération, partenaire du nouveau cycle de conférences organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. A suivre, le 27 avril, le débat «Nuisibles, vous avez dit nuisibles ?» avec l’historien Nicolas Baron et Raphaël Mathevet, écologue et géographe.

Autrefois considéré comme un représentant de la faune sauvage, le sanglier est devenu une «espèce à problème». Ecologue et géographe au CNRS, Raphaël Mathevet questionne son histoire et notre rapport au sauvage.

Comment en êtes-vous venu à étudier le sanglier ?

«Il y a une quinzaine d’années, je travaillais sur les interactions entre les humains et la faune sauvage, notamment sur la chasse au gibier d’eau. Et je constatais que le sanglier s’invitait de plus en plus dans mes entretiens avec des agriculteurs et des chasseurs. Puis avec un collègue écologue, Arnaud Béchet, nous nous sommes penchés sur l’histoire du flamant rose, son sauvetage et sa protection et, là encore, le sanglier s’invitait sur l’îlot de reproduction et pouvait anéantir les efforts entrepris pour sauver l’oiseau. A travers notre ouvrage Politiques du flamant rose (paru chez WildProject en 2020), nous questionnions nos relations au vivant. Comme le sanglier, le flamant rose rebat les cartes de l’aménagement du territoire.»

Mais les deux espèces sont considérées très différemment.

«Le sanglier est une espèce gibier qui peut être classée en Esod (espèce susceptible d’occasionner des dégâts) alors que le flamant rose lui est une espèce protégée. Il faut donc des autorisations préfectorales afin de l’effaroucher. Pendant longtemps, le sanglier a été vu comme une espèce noble, un animal dangereux et rare recherché par les chasseurs. Mais en l’espace de quelques décennies, il a dégringolé de ce statut pour devenir une espèce à problème, un animal de bord de route, qui provoque des collisions, des dégâts agricoles et qui pénètre en ville. Comme le flamant, le sanglier crée des conflits entre humains, des discussions, des négociations, des règles : en cela, il est aussi un animal politique.»

Comment expliquer ce changement d’appréciation ?

«Le sanglier est devenu très abondant pour plusieurs raisons. D’abord la déprise rurale et la progression de la forêt lui fournissent abri et nourriture. Il y a ensuite la disparition des grands prédateurs tel le loup qui lui ont laissé le champ libre. La diminution du petit gibier de terre associée à l’intensification agricole a aussi orienté les chasseurs vers lui dès les années 1970. L’espèce a alors été pensée pour et par la chasse : élevée, relâchée, gérée. Enfin le réchauffement climatique accélère la fructification forestière. Avec davantage de nourriture à disposition, les laies se reproduisent plus jeunes et font plus de petits. On se retrouve avec beaucoup de sangliers et ces derniers, au-delà des dégâts agricoles, entrent en conflit avec les infrastructures humaines comme les routes quand la ville s’étale de plus en plus.»

A travers son exemple, c’est notre rapport au vivant que vous questionnez plus largement.

«Oui, c’est paradoxal. Le sanglier est très abondant alors que nous sommes en pleine crise de la biodiversité. Son cas nous permet de réfléchir à notre définition du sauvage. A une époque où on parle de réensauvagement, que faire des espèces qui reviennent spontanément ? Comment faire du sauvage dans les territoires ? Cela conduit à une question de fond : qui a le droit de vie ou de mort sur cette faune ?»

Sangliers, géographies d’un animal politique, paru en 2022 chez Actes Sud, Roméo Bondon et Raphaël Mathevet.