Les grandes villes sont historiquement porteuses de progrès et de liberté. Mais quelle est cette liberté aujourd’hui ? Principalement celle de se défaire de la production de sa propre subsistance et de la «faire faire» à d’autres. La liberté d’être «délivré» des charges imposées au vivant et à la terre pour se nourrir, se chauffer, se vêtir, se déplacer ; et ce, en y assignant des groupes sociaux et des territoires entiers, en l’occurrence les mondes paysans et plus largement les ruralités. Qu’il s’agisse du «remembrement» des terres agricoles ou de leur conversion aujourd’hui massive en centrales d’énergies renouvelables, les campagnes sont les premières cibles d’un système fondé sur l’exploitation.
De ce constat, nous affirmons que rien ne saurait changer sans une remise en cause fondamentale du paradigme actuel de l’urbain. L’urbanisation nous a fait perdre la conscience de notre appartenance au monde du vivant. A l’opposé, face aux crises écologiques, nous défendons la reconnaissance pour toutes et tous d’un droit à la vie locale en milieu rural, le droit de vivre une vie pleine et digne. Créé il y a cinq ans, le mouvement «Post-urbain» réunit des personnes et organisations qui explorent les possibilités géographiques qui s’offrent à nous afin de poser les ruralités comme actrices centrales du devenir de nos sociétés.
Les ruralités constituent, dans leur pluralité, des espaces où se développent des modes d’habiter assez largement autrement écologiques. Face au fantasme métropolitain du toujours plus grand, face à une écologie urbaine des petits gestes nécessaires mais non suffisants, et en opposition avec les revendications nationalistes et identitaires d’une France originelle, les ruralités sont les seuls espaces possibles pour la reprise en main de nos vies. Bien sûr, nous ne négligeons pas la difficulté de renouer avec le travail manuel de la paysannerie dont nous avons été à ce point éloignés, ou encore la question de la cohabitation des cultures sociales dans les territoires, entre locaux et nouveaux arrivants, par exemple. Mais l’apprentissage commun de la subsistance pourrait constituer un moyen privilégié de retrouver le plaisir de vivre et créer, ensemble, avec prospérité, au moment même où un nombre croissant de jeunes ruraux et de citadins aspirent à vivre dans les campagnes.
D’ailleurs, nombre de communes rurales sont déjà le creuset d’initiatives qui revisitent les modèles d’actions et les principes de l’aménagement : dispensaires mobiles et dispositifs de visite à domicile pour lutter contre la désertification médicale, jardins d’insertion pour faire face au chômage et à l’isolement social, mise en régie foncière de la production alimentaire et restauration «ultra locale» pour favoriser les circuits courts, prise en charge par les municipalités de locaux commerciaux afin de soutenir la vie communale, services de véhicules intermédiaires en auto-partage etc. Les associations d’éducation populaire jouent également un rôle essentiel dans la production et le partage de savoirs locaux, à l’instar des Foyers Ruraux, des Maisons de la nature ou encore des Maisons Familiales et Rurales.
Les ruralités, par ce qu’elles portent de réalités et de sensibilités aux milieux, apparaissent ainsi comme des espaces où une puissance d’action écologique peut être retrouvée. Sans passéisme, il y a à renouer avec la richesse des cultures paysannes et artisanales, et ce qu’elles représentent d’expériences de travail communes fondées sur une connaissance approfondie des caractéristiques de chaque lieu, de chaque environnement. Cela suppose une inversion de focale : replacer au centre du débat les capacités des ruralités à faire autrement «commun», face au projet métropolitain de densification promue trop souvent comme seule solution pour faire «sobriété». Nombre de territoires et leurs communautés villageoises constituent des modèles, y compris démocratiques, à bonne et juste échelle, pour initier la bifurcation écologique nécessaire. Pour peu qu’ils soient protégés des logiques extérieures de prédation et d’extraction de leurs ressources… toujours à des fins très urbaines.
Liste des 50 signataires des mondes académiques, politiques, de la terre et de la pratique des territoires sur www.post-urbain.org