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Libération
Climat Libé Tour Paris : tribune

L’écologie du turfu

Pour le philosophe et auteur de «la Banlieue du turfu», Makan Fofana, il faut proposer une écologie loin des injonctions culpabilisantes, plus proche des pratiques des habitants des quartiers populaires.
Au jardin ouvrier d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), en 2021. (Myriam Tirler/Hans Lucas. AFP)
par Makan Fofana, philosophe et auteur de «la Banlieue du turfu»
publié le 26 mars 2024 à 11h55
Les 29, 30 et 31 mars, rendez-vous à l’Académie du Climat pour la deuxième étape de l’année du Climat Libé Tour. Un week-end au croisement entre écologie et enjeux sociaux à découvrir à travers concerts, stand-up, ateliers, mobilisation sur la pollution de l’air, rencontres et débats. Entrée gratuite sur inscription.

L’univers tout entier est une banlieue à la dérive, que nous devons aimer et protéger, en pensant à nos ancêtres et aux générations futures. L’écologie nécessite une conversion profonde à de nouveaux modes de vie. Mais si elle ne touche pas nos cœurs, nos sensibilités, nos imaginaires, nos rêves et nos passions, pourquoi devrions-nous nous y forcer ?

Dès mon enfance, j’ai été sensibilisé à l’écologie. Les souvenirs des mains calleuses de mon père façonnant la terre et des parfums étranges de ses plantes guérisseuses sont gravés dans ma mémoire. Les récits envoûtants de ma mère sur les esprits des fleuves et nos balades de septembre à la recherche de châtaignes dans les bois de La Verrière résonnent encore en moi. La sobriété heureuse de notre vie quotidienne nourrissait cette sensibilité.

Pourtant, face à certaines approches de l’écologie, un malaise m’envahit. Je le ressens dans mes échanges avec mes proches et dans le regard des participants à nos ateliers de projection dans le «turfu». Devenir influenceur, footballeur, intégrer une grande école ou devenir une actrice reconnue continuera à faire partie des représentations de la réussite individuelle et collective. Il est illusoire de vouloir supprimer les industries du rêve qui façonnent désormais des milliards d’identités.

Exprimer ce malaise ne vise pas à critiquer ou culpabiliser le mouvement écologique. Je souhaite plutôt proposer une écologie plus proche de nos intériorités, loin des injonctions paradoxales, culpabilisantes ou restrictives. L’écologie représente pour moi le grand récit du monde dont nous faisons partie, et nous devons participer à sa narration.

Dans l’acception commune, le terme «prise de conscience» est souvent compris comme un basculement d’un état «non écolo» vers un état «écolo». Cependant, il est important de faire comprendre, notamment au sein des milieux populaires, que leurs pratiques et leur culture sont déjà profondément ancrées dans l’écologie. Seulement, les recherches scientifiques nous confortent dans l’idée de les valoriser et de les remettre au goût du jour.

Nous avions des pratiques écologiques et sobres depuis longtemps. Elles n’ont jamais été valorisées et, désormais, nous devons non seulement revenir à ces pratiques, mais aussi suivre des normes et des écogestes qui ne correspondent ni à notre style de vie ni à notre sensibilité, et n’ont aucune résonance avec notre passé.

C’est une bifurcation vécue comme négative. On nous présente quelque chose de bénéfique et d’inévitable, nous obligeant à acquiescer en public, mais provoquant de l’agacement en privé : «Ils nous gonflent.»

En revanche, il est possible de réorienter les énergies psychiques collectives vers des choix plus satisfaisants pour le bien commun. Ecrire un roman ou développer un spectacle de stand-up seront des lieux de transfiguration des énergies psychiques dont les mouvements écologiques ont tant besoin.

La perspective mésologique, développée par Augustin Berque, offre une alternative à la perspective écologique classique. Selon cette approche, chaque groupe humain puise dans son environnement les ressources nécessaires pour entamer un dialogue construit, à la fois collectif et individuel.

L’environnement ne doit pas être considéré comme une simple donnée brute et universelle. Il doit devenir un milieu, à travers la richesse du sens, pour aboutir à la production de techniques, de symboles et de modes de vie en correspondance.

Le milieu n’est pas simplement l’environnement. C’est l’environnement qui a du sens pour une culture donnée. Ce qui n’a pas de sens pour une culture redevient un simple environnement.

L’écologie du turfu, en proposant de nouvelles fictions, s’inscrit dans une démarche futuriste en inventant des projets culturels, artistiques, tournés vers les transitions écologiques. S’inspirant des milieux populaires, diasporiques, et marginaux, elle explore des alternatives déjantées à travers des ateliers de cocréation.