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Solutions solidaires: enquête

L’écologie solidaire, un bien à partager

Projets participatifs, droit d’interpellation, démocratie participative... Entre élus, associations et citoyens, l’heure est à la discussion.
(Aseyn/Libération)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 2 février 2024 à 3h27
(mis à jour le 8 février 2024 à 11h54)

Solutions solidaires

Avec tous les territoires engagés pour des solutions solidaires, le département de la Gironde, la ville de Bordeaux, la fondation Jean-Jaurès, Libération et plus de 60 organisations composant le Pacte du pouvoir de vivre proposent de débattre de six grandes solutions. Qu’elles soient éprouvées ou encore à expérimenter, ces solutions sont autant d’outils mis à la portée de toutes et tous pour tenter de fabriquer ensemble une écologie solidaire. Pour en discuter, rendez-vous le 9 février prochain dans les locaux du département de la Gironde.

Le dernier rapport du Giec est sans équivoque : sans justice sociale et sans démocratie, les objectifs de la transition écologique sont inatteignables. Pour surmonter l’échec des institutions face à la crise climatique, les experts préconisent notamment de «mieux lutter contre les inégalités» et de «mobiliser tous les acteurs» – des collectivités territoriales aux citoyens, en passant par les entreprises – afin de rendre les changements plus «acceptables socialement». Le défi est immense. «Cette question de l’acceptabilité des lois est cruciale. Sans concertation, les politiques publiques risquent d’être incomprises, rejetées et on finit par légiférer tous les dix-huit mois sur le sujet. C’est vraiment une question culturelle : il est urgent de ne plus réduire la démocratie à un sport de combat. C’est contre-productif, comme s’il fallait absolument des gagnants et des perdants, alors qu’on peut trouver des terrains d’entente», analyse Thierry Beaudet, président du Conseil économique social et environnemental. A l’échelle locale, soucieux de se mettre au service de l’écologie solidaire, des territoires sont de plus en plus prompts à créer des alliances avec la société civile, et inversement.

Direction le Sud-Ouest, où en Gironde par exemple, le département, la ville de Bordeaux, le collectif d’associations «Acclimat’action» et plusieurs dizaines de citoyens vont expérimenter, dès le printemps, une sécurité sociale de l’alimentation. Le dispositif, également testé dans l’Hérault ou le Vaucluse sous différentes formes, va permettre à un échantillon de plusieurs centaines de personnes d’accéder à des produits conventionnés dans un réseau de distribution (épiceries sociale et solidaire, commerces de proximité, producteurs…) pour un montant d’environ 150 euros par mois et par personne. Le financement viendra de cotisations citoyennes, d’entreprises et de subventions des collectivités. L’outil doit garantir le droit à une alimentation durable et respectueuse de la biodiversité. Dans chacune des quatre communes girondines où il sera testé, un comité de dix citoyens, constitué en grande majorité de personnes en situation de précarité et de gens engagés dans le secteur associatif, a participé à son élaboration.

Mortalité des abeilles

«Je suis convaincu qu’on est plus juste dans l’action publique quand on demande aux personnes concernées où sont leurs difficultés. Pour ce panel, nous avons aussi veillé à nous appuyer sur des publics parfois très éloignés de la démocratie participative», illustre Jean-Luc Gleyze, le président socialiste du département. En 2023, la Gironde a également mis en place «un droit d’interpellation local et citoyen», inspiré en partie des demandes de RIC pendant le mouvement des gilets jaunes. Avec trois conditions : être âgé de plus de 11 ans, résider en Gironde et être au minimum deux. Avant de s’emparer du sujet, le Département vérifie qu’il est en conformité avec les valeurs du territoire et revêt un intérêt général. La première saisine concerne la mortalité anormale des abeilles et la lutte contre le frelon asiatique. «Nous avons confirmé la pertinence du sujet avec le syndicat départemental apicole et à partir de là, on a considéré que le projet méritait d’être étudié. Désormais, nous allons intégrer les citoyens qui nous ont interpellés dans la démarche afin qu’ils soient coconstructeurs des actions entreprises», déroule l’élu.

A l’autre bout de la France, dans le Nord-Est, la présidente socialiste de Meurthe-et-Moselle, Chaynesse Khirouni, a choisi de structurer une large partie de son action économique, sociale et solidaire autour de projets participatifs. «On poursuit la philosophie d’action de nos prédécesseurs en bousculant toutes nos méthodes et en questionnant nos pratiques pour mieux intégrer l’action des citoyens, cela nécessite beaucoup de conviction. Nous avons ainsi rejoint une plateforme de financement participatif. C’est une manière de reconnaître le pouvoir d’action de chacune et chacun en soutenant leurs projets», détaille-t-elle en se félicitant de «pouvoir compter sur un tissu associatif extrêmement dense». Le département aide par exemple financièrement Kèpos, une société qui porte, forme et accompagne les très petites entreprises s’étant donné pour mission d’œuvrer à la transition écologique. En fin d’année dernière, la Meurthe-et-Moselle a également créé un revenu d’émancipation pour des jeunes en situation de grande précarité, de rupture, avec peu ou pas de soutien familial et âgés de 16 à 24 ans. Cette aide mensuelle de 500 euros doit leur permettre de «vivre dignement». Il s’agit, insiste la présidente, de «rétablir la confiance des jeunes dans les institutions».

Ne plus attendre face à l’urgence écologique

En miroir, côté société civile, la demande pour s’impliquer dans la transition écologique se fait de plus en plus pressante. De nombreux citoyens dénoncent la lenteur des pouvoirs politiques et économiques, avec plus ou moins de pugnacité. Au point qu’un véritable réseau parallèle s’est organisé. Il réclame plus d’ambition écologique et de justice sociale. Début 2020, le Pacte du pouvoir de vivre, qui regroupe une soixantaine d’organisations sur tout le territoire (associations, fondations, ONG, syndicats…), a ainsi annoncé ne plus vouloir attendre face à l’urgence climatique, prônant un nouveau modèle plus écologique, social et démocratique. Depuis trois ans, cette société civile organisée construit un rapport de force «face à un gouvernement qui peinait à écouter» et élabore des propositions issues de travaux collectifs à destination des personnalités politiques. «Il y a une sorte de malentendu général sur le mot concertation autant au niveau national que local. Pour certains, ça veut juste dire rencontrer une asso pendant une heure pour dire qu’on l’a rencontrée. Nous, ce qui nous intéresse, c’est la notion de travail sur le temps long, la mise en commun, les échanges, la coconstruction», observe Amandine Lebreton, la directrice du Pacte.

«La société civile ne fait pas que s’opposer et manifester son mécontentement, elle propose et permet d’améliorer le cadre de vie locale par des mesures concrètes. Cette concertation, souvent très riche, va non seulement permettre aux citoyens de s’approprier les projets mis en place mais aussi de débloquer des freins en amont», défend Clara Sannicolo, responsable climat et territoires du Réseau action climat (RAC). L’association, fondée en 1996, spécialisée sur le thème des changements climatiques, forme et défend les intérêts des citoyens des associations membres en leur fournissant une expertise et en les aidant à appuyer leur plaidoyer auprès des élus locaux. «Avec Alternatiba, nous avons publié une série d’articles pour montrer l’importance du plaidoyer citoyen dans l’obtention de ces victoires locales», poursuit la référente du RAC. Et la liste de ces petites victoires est longue. A Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, la mairie s’est engagée à aider au financement et à prêter un terrain pour un potager collectif baptisé «Le Citoyen nourrit la ville». Il alimente aujourd’hui l’épicerie solidaire pour les ménages précaires. Dans les Pyrénées-Orientales, à Opoul-Périllos, la municipalité a travaillé avec une coopérative citoyenne locale pour le déploiement de panneaux solaires sur le toit de l’école primaire, générant des retombées économiques directes pour les habitants. Dans les Côtes-d’Armor également, la commune de Perros-Guirec a créé une «commission du temps long» pour mieux intégrer les citoyens dans la conception des politiques publiques.

«Le manque de transparence, de communication et d’information des habitants sur les actions et politiques des élus» ainsi que «le décalage parfois fort entre les engagements pris par les politiques et leurs actions sur le terrain» restent malgré tout régulièrement pointés du doigt, constate le RAC, qui fédère 27 associations nationales et 10 associations locales et régionales. Ces critiques constituent un frein important à la coopération. «Des habitants me demandent aussi régulièrement si je vais les faire bosser juste pour faire ma com», rapporte Jean-Luc Gleyze. «Si on ne veut pas alimenter la défiance et restaurer la confiance, nous devons leur montrer que leur implication va réellement être prise en compte, qu’on les tiendra au courant. En prenant l’engagement qu’il ne s’agit pas d’une promesse de façade.»