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Léon Foé, enfin le cœur logé

Finance solidaire et logementdossier
Privé d’emploi et de toit après un accident de parcours, le Strasbourgeois, ancien prêtre et universitaire, a pu se reloger dans l’immeuble d’un propriétaire solidaire, géré par l’association Habitat et Humanisme.
(Frâneck/Libération)
publié le 24 janvier 2025 à 3h00

Dans son T2 d’Illkirch-Graffenstaden, au sud de Strasbourg, Léon Foé, 58 ans, a gardé religieusement quelques cartons intacts. Des livres. Pour la première fois depuis des années, il aura, ici, assez d’espace pour exposer sa précieuse bibliothèque. Alors, un mois après son emménagement, il la déballe à son rythme. «J’y vais tout doucement». Il veut prendre son temps. Profiter de la tranquillité de cet appartement pour écrire un nouveau chapitre, plus serein, de sa vie. «Je suis passé par des tunnels obscurs», dit-il simplement.

Avant l’obscurité, Léon Foé, homme affable et décidé, s’était tracé un parcours singulier. Né au Cameroun, il a longtemps cheminé aux côtés de l’Eglise. Rien de prémédité : Dieu lui est tombé dessus sans crier gare. «Je voulais être militaire, je suis devenu prêtre», explique-t-il en souriant. Ordonné à 32 ans, il se lance, après plusieurs années de terrain, dans un projet de recherche à l’Université catholique d’Afrique centrale, à Yaoundé. C’est pour poursuivre ce travail qu’il rejoint la France, et Strasbourg, en 2005. Master de théologie en poche, il embraye sur une thèse de doctorat. Sujet : l’inculturation, ou comment enraciner l’évangélisation dans les cultures locales. Soutenue en 2015 à l’université de Fribourg (Suisse), elle est publiée en 2016.

Pour le désormais «docteur Foé», c’est aussi le début des ennuis. D’une vie qui, subrepticement, dérape. Ses recherches lui attirent des inimitiés. «Je m’attaquais à des tabous, comme le mariage des prêtres» (qu’il promeut). Il persiste, s’accroche à «sa liberté». La rupture avec l’institution est consommée. Elle l’isole, et son existence soudain s’effiloche. Son corps lâche le premier : «Un glaucome fulgurant, qui a failli me coûter la vue.» Il s’accorde un an de trêve au Cameroun, se soigne en Suisse. Français depuis 2010, il revient à Strasbourg. Sans toit ni emploi.

«Il me fallait être autonome»

Se loger sera son chemin de croix. Il dort chez des connaissances, mais ça ne peut pas durer. Se résout à composer le 115, le numéro de l’hébergement d’urgence. Il passera de longs mois au centre des Remparts, en dortoir. «Pas une sinécure…» euphémise-t-il. Mais un passage obligé, comprend-il, pour espérer, un jour, une chambre à soi. Car il est enfin accompagné. Aidé par une assistante sociale de la ville de Strasbourg, il recompose un quotidien : demande de RSA, renouvellement de sa carte vitale – «pour soigner les bobos» –, premier boulot – un intérim de traducteur dans une boîte de conseil en informatique. «Ça m’a permis de rebondir.»

Et d’accéder, enfin, à un logement. Habitat et Humanisme lui trouve un meublé rue du Jeu-des-Enfants, dans le centre-ville. Le logis est minuscule : 16 m² ; le loyer disproportionné : 500 euros, car il dispose d’un bail d’avant le rachat de l’immeuble par la foncière solidaire Soliko. «Il me fallait être autonome, j’ai accepté.» Il n’a pas vraiment le choix. «Si le parcours de M. Foé est atypique, il rejoint une problématique, elle, très banale : l’accès au logement, en France, dépend de l’emploi, témoigne Anne Merschein, responsable du pôle accompagnement de l’association en Alsace. Privé de contrat de travail stable, il n’aurait jamais trouvé dans le parc locatif privé.»

Débute, pour Léon Foé, une vie domestique «en miniature». «Je cassais beaucoup de choses», se souvient-il. C’est, pour lui, «le prix à payer pour être chez soi, une façon d’être libre». Et d’avancer. Il se rapproche de sa fille, qu’il aide à emménager à Lyon pour ses études. Trouve un nouvel emploi, en août 2022. Au centre Envie 2E (Emploi & Environnement) de Geispolsheim, il est opérateur de recyclage à temps plein. Sans cesser de chercher, bien sûr, un peu plus grand.

«C’est calme, une délivrance»

Il attendra plus de trois ans. «Dans le logement, malheureusement, le maître mot c’est la patience, témoigne Anne Merschein. Dans l’Eurométropole, 32 000 demandes de logement social sont en cours…» Celle de Léon Foé finira par payer.

«Un jour d’août 2024, on m’a appelé». Un T2 à Illkirch-Graffenstaden s’est libéré. L’immeuble est détenu par un «propriétaire solidaire» qui l’a confié en mandat de gestion à Habitat et Humanisme. Le bail est renouvelable et le loyer (500 euros) inférieur aux prix du marché. «44 m²… vous vous rendez compte ? J’étais aux anges», s’émeut Léon Foé, qui a récupéré les clés le 6 septembre. Du troisième étage, il donne sur une rivière, l’Ill, des arbres, une route et un pont. «C’est calme, une délivrance.» Il va pouvoir «lire allègrement», jouer du balafon (un xylophone, utlisé en Afrique centrale) et organiser le futur : une formation au métier de conseiller en insertion professionnelle.