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Quelle culture pour quel futur ? Rencontre

«Les artistes ont un rôle à jouer dans la création de nouveaux imaginaires»

Quelle culture pour quel futur ?dossier
L’artiste Fernando García-Dory mène des projets agro-écologiques et culturels au sein d’Inland, un collectif basé en Espagne qu’il a fondé en 2010.
«Lament of the Newt» de Fernando García-Dory, performance collective lors de la biennale de Gwangju en 2016.
publié le 23 novembre 2022 à 10h00
Du 2 au 4 décembre, au Centre Pompidou, trois jours de débats et d’échanges pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes et articles dans le dossier thématique dédié à l’événement.

Avec Inland, vous appelez à restaurer la relation entre les artistes et la ruralité. Pourquoi ? Le lien entre la création et le monde paysan a-t-il été rompu ?

Notre civilisation a fait de la ville le lieu privilégié du développement économique, technique et culturel, ce qui a créé un profond déséquilibre territorial. Le monde paysan a été vidé de ses résonances créatives, artistiques, littéraires. Les avant-gardes impressionnistes ou cubistes ont parfois puisé leur inspiration dans la vie paysanne, mais sans s’y engager. Au contraire, il nous semble essentiel que les artistes ne se contentent pas d’être des flâneurs de la vie rurale, ce qui pourrait favoriser la gentrification des campagnes. Au sein d’Inland nous partageons le quotidien et les luttes paysannes – des luttes pour la vie ! Le modèle que nous défendons est à rebours de l’industrialisation intensive : il vise la souveraineté alimentaire tout en prenant en compte les limites écologiques.

En quoi les artistes peuvent-ils favoriser ce changement de modèle ?

Si l’on investit toutes nos capacités créatives dans le récit d’une urbanité comme espace de progrès et horizon des possibles, alors il ne reste plus d’attention, plus d’image disponible pour se projeter dans un autre modèle, en dehors des villes. Or, nous pensons que la ruralité offre un espace physique et culturel de transformation sociétale radicale, qu’il faut investir. Et les artistes ont ici un rôle à jouer, dans la création de nouveaux imaginaires de la décroissance et du buen vivir. Au sein d’Inland nous avons créé, entre autres, une école de bergers, avec un troupeau de moutons qui transhume en montagne, où nous réimplantons des habitats. Il s’agit de préserver des connaissances pastorales ancestrales, à travers une sensibilité contemporaine. Nous avons aussi lancé un système de cryptomonnaie locale, le «cheesecoin», lié à la valeur du fromage, qui a été présentée à la Documenta de Cassel en septembre. Il ne s’agit pas de poser un regard nostalgique, idéalisé, sur l’agroécologie, mais de rendre à cette pratique toute sa puissance sensorielle et poétique.

Diriez-vous que l’artiste, demain, sera un acteur territorial, un agent de la ruralité ?

Je le vois déjà comme un scientifique, un citoyen, un producteur, un gardien du vivant… Au sein d’Inland, nous refusons la figure individuelle de l’artiste génial, et nous privilégions une création plus collective et collaborative, qui investit le local comme un espace d’engagement et de production, à rebours de l’hypermobilité de certaines formes d’art contemporain. L’artiste est un acteur à même de repenser les structures sociales et l’organisation pratique de la vie, et dans le même temps capable de transcender le prosaïsme du quotidien, pour faire émerger un nouveau sacré. A mes yeux, ce dernier est très lié à la terre, qu’on ne considérerait plus comme une ressource à exploiter, mais comme un espace nourricier.