Nos imaginaires associent les bisons aux prairies nord-américaines, mais 7 500 bisons d’Europe vivent actuellement sur notre continent. Comme aux Amériques, ces totems peuvent peser 1 tonne et atteindre 2 mètres au garrot, mais l’espèce européenne est plus élancée, avec une bosse moins prononcée. Les derniers rescapés sauvages ont été tués en Russie en 1927, mais une poignée de géniteurs captifs a permis un vaste programme de réintroduction à partir des années 50. Grâce à ce réensauvagement, des bisons paissent et façonnent les paysages un peu partout en Europe, notamment en Pologne et en Ukraine. Alors que des moyens considérables sont engagés pour établir des nouvelles populations de bisons sauvages, y compris en France, les écologues s’interrogent sur les causes de leur déclin historique. La chasse et l’agriculture sont-ils les seuls responsables de l’effondrement des populations de bisons européens ?
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July Pilowsky et Damien Fordham des universités d’Adelaïde (Australie) et de Copenhague (Danemark) se sont penchés sur la question, à la tête d’une équipe interdisciplinaire issue de dix institutions européennes, australiennes et chinoises. En Europe, les bisons cohabitent avec les humains au moins depuis la dernière glaciation, comme l’attestent les fresques de la grotte de Pergouset, dans le Lot. Les scientifiques ont donc reconstitué vingt mille ans d’interactions entre les bisons, le climat, la végétation et les humains (1). Pour cela, ils ont étudié les caractéristiques écologiques de la zone de vie actuelle des bisons, centrée sur le Caucase, et celles de leurs aires de répartition ancestrales, sur la base de 120 fossiles datés avec précision. Décennie par décennie, l’équipe a modélisé l’impact des climats du passé, des changements de végétation et de la chasse, sur la répartition et l’abondance des bisons européens.
Le changement climatique a provoqué une diminution très marquée des tailles de populations de bisons
Leurs analyses révèlent des dynamiques fascinantes : Il y a vingt mille ans, plus de 100 000 bisons étaient présents de la Sibérie jusqu’en Bretagne ; une aire de répartition gigantesque mais discontinue qui incluait aussi l’Italie et les Balkans. Puis, soudain, à la fin de dernière glaciation il y a quatorze mille sept cents ans, le réchauffement climatique a transformé les steppes orientales en forêts. «Les ancêtres des bisons actuels préféraient brouter les graminées des steppes», explique July Pilowsky. «Après la période glaciaire, ils ont déserté la Sibérie, et la population s’est recentrée sur une zone allant de l’actuelle Ukraine à l’Allemagne, du nord de la Grèce à la mer Baltique.» Le changement climatique a donc provoqué une diminution très marquée des tailles de populations de bisons, avec un effet additif de la chasse dès la fin de la période glaciaire. «Il y a douze mille ans, 10% des protéines consommées par les humains d’Europe centrale provenaient des bisons ou des aurochs», notent les auteurs de l’étude. Cette pression de chasse a persisté au travers des âges, et les analyses effectuées indiquent que la chasse et l’utilisation des terres par les humains ont graduellement mené les bisons à leur quasi-extinction au début du XXe siècle.
Pour Damien Fordham, «notre étude permet de reconstruire cette longue et rude histoire. Elle identifie aussi clairement les zones actuelles qui sont favorables aux bisons, les distinguant de celles dans lesquelles une réintroduction est vouée à l’échec car les habitats disponibles ne sont pas prêts à accueillir ces grands herbivores».