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Tribune

Les défis collectifs à l’ère des cyclones

Des villes qui nous ressemblent dossier
Alors que les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient, mettant toujours plus à l’épreuve nos bâtiments, il devient urgent, pour l’architecte Nicola Delon, de repenser nos processus de construction en y impliquant les habitants, premiers concernés.
A Mamoudzou, un homme reconstruit sa maison, le 2 janvier 2025, après le passage du cyclone Chido sur l'archipel de Mayotte. (Julien de Rosa/AFP)
par Nicola Delon, architecte, cofondateur de l'agence Encore Heureux Architectes
publié le 31 mars 2025 à 3h46

Du 3 au 6 avril 2025 à Bordeaux, le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture organise une série de rencontres, ateliers et explorations urbaines sur la manière de concevoir et habiter les villes. Un événement dont Libération est partenaire.

En octobre, Valence, en Espagne, était sous les eaux ; en janvier, Los Angeles était ravagé par les flammes, et, entre les deux, l’archipel de Mayotte a été balayé le 14 décembre par un cyclone tropical d’une intensité inédite. L’eau, l’air et le feu, autant d’éléments qui font voler en éclats les habitats et les infrastructures et qui en chassent durablement les habitants qui y survivent.

Ces phénomènes matérialisent le nouveau régime climatique, et il y a fort à parier que leurs fréquences et les puissances n’aillent pas en diminuant. En plus de l’énergie nécessaire pour construire des bâtiments et des villes avec le moins d’impact climatique possible, il va falloir également préparer ces mêmes villes à mieux résister à ces nouveaux périls. La tâche est vertigineuse.

Sept des neuf limites planétaires ont été dépassées et c’est bien la totalité des certitudes architecturales et urbaines que cette situation remet en cause. Epuisement des ressources, raréfaction de l’énergie, fragilité des sols, débordement des pollutions diverses, que reste-t-il pour construire quand les matières premières ne sont plus disponibles ?

Eh bien il reste les organisations humaines, qui, elles, sont a priori sans limites. C’est la ressource qu’il nous reste et dont nous devons prendre toute la mesure et affirmer son potentiel.

Cela nécessite de revoir assez profondément les chaînes de décision et les relations hiérarchiques, par-delà les dominations à l’œuvre dans le monde de la construction.

Eviter de reconstruire moins bien qu’avant

Il s’agit de redéfinir l’agencement et l’ordonnancement des relations entre les mots besoin, programme, projet, chantier, habitants. Cette suite, en apparence logique, d’un besoin exprimé par un commanditaire, transformé en cahier des charges par un programmiste puis confié à un architecte pour son dessin et à un constructeur pour sa réalisation, n’est plus opérante si elle ne place pas à chaque étape du processus les personnes qui vont habiter ces lieux, et qui sont à ce titre les premières concernées.

C’est un processus plus long et plus complexe mais qui garantit un passage à l’action beaucoup plus robuste et puissant. C’est la démonstration qui est faite à Mayotte en ce moment suite au cyclone Chido, où les habitants sont les premiers à reconstruire. Avec ce qui est là, avec les matériaux, les outils et les savoir-faire à disposition. Il conviendrait de les encourager, de les accompagner, de les «empuissanter» tant leur efficacité est sans commune mesure avec les pratiques conventionnelles de l’acte de construire. Les architectes ont un véritable rôle à jouer à leurs côtés pour éviter de reconstruire moins bien qu’avant, pour partager les bonnes pratiques éprouvées sous d’autres longitudes tropicales et pour clarifier des situations réglementaires souvent ubuesques. Dans un monde qui se complexifie, quoi de plus utile que des praticiens de la complexité ?

Si ces nouvelles alliances deviennent des évidences dans un contexte de catastrophe, il conviendrait de les observer, de les comprendre et de s’en inspirer pour transformer en profondeur nos façons de faire. Crise après crise, nous observons bien que les modèles à l’œuvre sont dépassés, qu’il s’agisse d’accès au logement ou de pression sur les écosystèmes. Prenant acte véritablement des limites matérielles, il nous reste alors l’intelligence collective qui est, pour le coup, sans fin.