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Libération
Immobilier: reportage

Les logements modulaires ne perdent pas le Nord

Près de Lille, la bailleur HLM Vilogia a remis au goût du jour les préfabriqués, en proposant des maisons rapides à construire mais de qualité.
Supplement Immobilier. Maisons, pavillons, jardins, expaces extérieurs partagés. Habiter un appartement et son côté nature. (Henrike Stahl/Libération)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 14 septembre 2024 à 3h12

Elles ont de la gueule, et marquent le paysage de leurs angles aigus et de leurs couleurs ocre, kaki et brique, à côté des pavillons classiques : les huit maisons «design pour tous» du bailleur HLM Vilogia, à Wattrelos (Nord), veulent faire la preuve qu’on peut faire du beau en ossature bois modulaire dans le logement social, et y réussissent plutôt bien. Les habitants, là depuis avril, se sont saisis de leur nouveau lieu de vie, vélos d’enfants et barbecues sur les terrasses. Un locataire a même déployé un bestiaire coloré et en plâtre sur sa pelouse : perroquet, héron, grenouille vert et cochon au rose pétant.

Le modulaire, c’est une vieille idée : pour bâtir vite, avec une qualité assurée, sans les aléas d’un chantier en plein air, pourquoi ne pas utiliser les recettes de l’industrie, avec des modules préfabriqués en usine ? Il ne reste plus ensuite qu’à les assembler sur place. Vilogia avait expérimenté le procédé dès 1952 pour deux maisons, construites sous la griffe de Jean Prouvé, designer et architecte, un précurseur de ce type d’habitat. «On les a réhabilités dans les années 2012-2013», explique Fabien Lasserre, responsable du pôle innovation chez Vilogia. Mais pourquoi ne pas réinventer le modèle ? La période se prête au modulaire, appelé désormais fabrication hors site. «Il a l’avantage de réduire le temps des projets de 30% à 40% et de surtout diminuer le besoin de main-d’œuvre, explique Fabien Lasserre. Nous voyons arriver un goulot d’étranglement pour 2030, entre les départs à la retraite dans le secteur du bâtiment et la nécessité de rénovation de 80 % des bâtiments de France à l’horizon 2050.»

Encore faut-il battre en brèche l’idée que le modulaire ne produit que des boîtes à chaussures en guise de logements. C’est le pari qu’a voulu relever Vilogia. «On s’est dit, on va faire travailler ensemble un architecte et un designer industriel, et on va voir ce que ça donne», raconte le directeur innovation. Tant qu’à jouer la carte de l’excellence, la structure est entièrement en bois, avec panneaux solaires et bac de récupération d’eau de pluie.

«Faire revivre l’idée des jardins ouvriers»

«Mon savoir-faire, c’est de travailler sur des scénarios de vie», précise Matali Crasset, la designeuse choisie. Elle réfléchit sur les relations intérieur-extérieur, a prévu une serre en continuité des maisons pour un potager privé. «Comme cela, les légumes arrivent plus tôt, précise-t-elle. Je voulais faire revivre l’idée des jardins ouvriers.» Trois des pavillons en sont dotés. Mais elles servent surtout aujourd’hui de débarras. Pourtant, une association de jardiniers a été missionnée pour aider les habitants, et aussi donner des conseils pour le jardin partagé, où poussent des tomates.

Toutes les maisons ont deux cabanons, collés à la façade, l’un pour l’ingénierie, pompe à chaleur et autres, l’autre pour les vélos ou les outils. Ce qui donne plus d’espace à la pièce à vivre, au bois blond et aux poutres apparentes, avec cuisine équipée et bel escalier qui monte à l’étage et aux chambres, en mezzanine. Ces maisons design pour tous n’en ont pas l’apparence, mais elles restent des logements sociaux, dont deux en PLAI, la tranche réservée aux revenus les plus modestes, avec un loyer entre 400 et 600 euros, (hors charges et aides) pour des T3 au T5. Elles ont coûté 170 000 euros en moyenne pour leur construction, 10 % de plus qu’un chantier classique.

Comme dans une bulle

«Je voulais absolument qu’on voie le bois, sourit Matali Crasset. Habiter une maison en bois, ce n’est pas comme habiter une maison en BA13.» Le BA13… Le Placo qu’on retrouve partout. Anne-Céline et Rafik, un couple de locataires, apprécient ce côté «nature», qui les change de leur ancien appartement en HLM. Ils sont surtout bluffés par l’insonorisation, même la route passante à proximité ne s’entend pas, et attendent de voir leur facture de chauffage pour l’hiver pour juger de l’isolation thermique. Les défauts ? Le revêtement de sol orange de leur rez-de-chaussée. Ils l’ont recouvert d’un parquet flottant. Rafik sourit : «La designeuse, elle est subventionnée par Desigual ou quoi ?»

Les huit pavillons vivent entre eux, comme dans une bulle, sans limite claire entre chez les uns et les autres. Un bonheur pour les enfants, moins pour leurs parents. Les habitants ont installé brise-vue et portails devant chez eux, pour retrouver une intimité. «Les enfants, ils ne comprennent pas, ils viennent faire du vélo sur votre terrasse, ou prendre des jouets», expliquent Anne-Céline et sa voisine. Mais ce qui les dérange le plus, ce sont les regards extérieurs : les maisons attirent les visiteurs et les haies ne sont pas encore assez hautes pour les protéger des curieux. L’inconvénient d’habiter une maison prototype.