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ClimatLibé Tour Marseille : tribune

Les plastiques, un traceur de l’anthropocène

Pour Richard Sempéré, océanographe et géochimiste au CNRS, il est impératif d’agir contre la pollution plastique. Si les scientifiques ont réussi à alerter, les prises de décisions des Etats tardent et les plastiques circulent encore tout autour de la planète.

La plage de l'Escale Borély à Marseille, le 5 octobre 2021, après dix jours de grève des éboueurs. (Patrick Gherdoussi/Libération)
Par
Richard Sempéré
océanographe, géochimiste au CNRS, spécialiste des additifs organiques des microplastiques, dirige l’institut OCEAN à Aix-Marseille Université
Publié le 13/12/2023 à 15h39
Informer, débattre et envisager des solutions au plus près des réalités et des enjeux. Rendez-vous le samedi 16 décembre à la Friche la Belle de Mai, à Marseille (Entrée libre sur inscription dans la limite des places disponibles), pour la sixième et dernière étape de l’année 2023 du «Climat Libé Tour».

Les polymères de plastiques, produits essentiellement à partir des dérivés du pétrole, constituent des matériaux largement utilisés dans l’industrie (construction, textile, pneumatiques, automobile, médecine, cosmétiques, emballages, et des produits divers de consommation courante). Malgré les alarmes des scientifiques, la production annuelle de plastique dans le monde qui se montait à quelques millions de tonnes en 1960 atteint désormais près de 500 millions de tonnes et pourrait atteindre 600 millions de tonnes en 2025. Ils constituent un des marqueurs de l’anthropocène.

Les polymères de plastiques sont synthétisés en assemblant différents monomères produisant in fine des polymères variés (polyéthylène, PVC, polypropylène, PET…) auxquels l’industrie ajoute des additifs (phtalates, bisphénols, benzothiazole, composés organophosphorés…) afin de leur conférer des propriétés spécifiques, comme le caractère flexible, ignifugeant, de vulcanisation (pour les pneus de voiture), de résistance au rayonnement ou de retardateurs de flammes. Leur dégradation qui s’effectue sur des centaines d’années induit la production inexorable dans l’environnement de microplastiques (entre 5 mm et 1 micromètre) et de nanoplastiques (entre 1 micromètre et 1 nanomètre) qui s’infiltrent dans tous les compartiments de la biosphère. Ils constituent entre 8 et 15 % de la masse des déchets générés par les activités humaines et seule une partie mineure (7 %) est effectivement recyclée.

Consommés par la faune marine

Près d’environ dix millions de tonnes de plastiques entrent dans l’océan chaque année, par les rivières qui traversent des zones fortement peuplées et par l’atmosphère. Dans l’océan, les plastiques se retrouvent le long des côtes, en surface, dans le sédiment profond, la colonne d’eau et sont consommés par la faune marine. Les plastiques ne sont pas sans effet sur la santé des écosystèmes et de l’homme. Ainsi, en mer, quand les filets de pêche sont perdus ou abandonnés, ils peuvent induire des étranglements des mammifères marins et des oiseaux ; plus petits et ingérés ils peuvent provoquer des occlusions intestinales ou induire des sensations trompeuses de satiété pour les organismes, alors que les nanoplastiques peuvent traverser les cellules des organismes vivants, avec des effets encore mal connus mais qui semblent passablement inquiétants tant pour les animaux que pour l’espèce humaine. Les additifs organiques associés aux polymères de plastique présentent par ailleurs des propriétés toxiques (perturbateurs endocriniens, cancérigènes ou neurotoxiques) pour l’homme. Leur réduction est donc une nécessité à l’échelle la planète.

Les scientifiques ont été les premiers à alerter du danger d’accumulation de ces polymères et se sont organisés en France avec le groupe de recherche «Polymères et Océans» tandis que plusieurs programmes de recherches soutiennent leurs travaux au niveau national avec, par exemple, le programme «Océan et Climat» ou la mission «Ocean and Waters» à l’échelle européenne du programme Horizon Europe.

L’heure n’est plus au constat

Cependant, si l’information a réussi à alerter les décideurs, les prises de décisions radicales tardent en raison du manque de solutions alternatives viables économiquement et parfois d’audace politique. La recherche des solutions est donc urgente et l’heure n’est plus au constat, les plastiques circulent dans la planète et sont présents partout, des villes jusqu’en Antarctique et dans les fosses les plus profondes de l’océan.

Cependant, malgré l’existence de plans d’action régionaux et européens, de mesures juridiquement contraignantes et la volonté commune de nombreux pays de mettre fin à la pollution plastique, la mise en œuvre effective et efficace des mesures innovantes et réduisant drastiquement leur production est rendue difficile par l’hétérogénéité de la situation démographique, économique et géopolitique à l’échelle planétaire. En effet, la responsabilisation des citoyens et le changement des habitudes sont lents, tandis que la valorisation des déchets n’est pas optimisée sur l’ensemble de la chaîne des fuites de pollution (c’est-à-dire les rivières, les stations d’épuration des eaux usées, les zones urbaines, les ports, les plages, le milieu marin). De même, le recyclage est hétérogène entre les Etats en raison d’un manque d’organisation généralisée et d’une faible synergie des actions à grande échelle et des modèles d’économie circulaire. Les solutions doivent être économiquement viables tout en étant intraitables écologiquement et acceptées par les populations et les décideurs. Elles seront nécessairement interdisciplinaires (chimie des matériaux, écologie, océanographie, droit de l’environnement, psychologie, arts et cultures) et intersectorielles (universités et organismes de recherches, industries, pouvoirs publics et les associations). Innovons !