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Tribune

«Les quartiers populaires ne sont pas des déserts écologiques»

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Face aux inégalités environnementales que subissent les quartiers (entre autres discriminations), Pierre Sersiron, doctorant en urbanisme à l’université Rennes 2, et Jaoued Doudouh, militant des quartiers populaires et membre de Pas Sans Nous, invitent à tenir compte des savoirs et des initiatives des habitants.
A L'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), la nature reprend ses droits dans l'ancienne friche industrielle aux sols pollués. (Ava du Parc)
par Pierre Sersiron,, doctorant en urbanisme à l’Université Rennes 2 et Jaoued Doudouh, militant des quartiers populaire et membre de Pas Sans Nous
publié le 20 décembre 2024 à 1h05

Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur ces projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.

Les quartiers populaires font partie, en France métropolitaine, des zones qui se trouvent en première ligne de l’accélération du changement climatique, de la crise écologique et de leurs conséquences, malgré une population dont la responsabilité dans ces périls est bien moindre. Ilots de chaleur urbains, passoires thermiques, précarité énergétique, pollution de l’air intérieur et extérieur…, autant d’éléments qui viennent renforcer la vulnérabilité des personnes déjà précarisées vivant dans ces quartiers.

Et cela contribue, dans les quartiers populaires, à un sombre tableau des inégalités environnementales, lesquelles s’articulent avec les inégalités sociales et de genre, mais aussi avec le racisme. De plus, ce tableau ne se limite pas à l’inégalité des responsabilités et vulnérabilités, il est également documenté en ce qui concerne l’inégalité de participation dans la fabrique des politiques publiques, dans l’impact de celles-ci, mais également dans la reconnaissance des habitants et habitantes.

Ce dernier point apparaît crucial. S’ils sont surexposés au niveau écologique et social, les quartiers ne constituent pas des déserts écologiques. Dans ces territoires, l’inventivité et l’implication des habitants pour nouer des relations avec l’environnement et préserver la nature sont à souligner, bien que ces initiatives restent souvent invisibilisées dans le champ médiatique comme dans celui des politiques publiques. Souvent, aussi, ces acteurs ne se revendiquent pas de l’étendard de l’écologie. C’est par exemple le cas de Sylvie, rencontrée mi-novembre dans un quartier populaire à Angers (Maine-et-Loire). Inquiète pour le climat, elle raconte son implication, trois jours par semaine, dans une ressourcerie «pour éviter la surproduction». Mais elle est également référente d’un compost collectif, elle a fait office de refuge animalier temporaire pour une trentaine de bêtes, elle mobilise tout son voisinage vis-à-vis de leur bailleur et «devrait être couronnée si on devait faire un bilan carbone». Pourtant, pas question pour elle de se revendiquer «écologiste». L’étendard écologiste semble ainsi marqué par des formes de dépossession des classes populaires, notamment dans des politiques publiques centrées sur les comportements individuels, et par un manque de reconnaissance de leurs expériences et de leurs savoirs.

Tandis que des organisations des quartiers se saisissent directement des questions écologistes – comme Banlieues Climat (qui vient de créer une «école populaire du climat» à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis), Ghett’up ou encore Front de Mères, qui pointent, entre autres, les mécanismes de racisme environnemental –, ce sont mille et une autres pratiques et initiatives qui prennent place à bas bruit dans les quartiers.

La mise à l’ordre du jour des questions écologiques à travers la nouvelle génération de politiques prioritaires (Quartiers 2030) pourrait constituer l’occasion de changer de logiciel concernant le lien entre les politiques de transition écologique et les savoirs et actions issus des quartiers populaires. Face à l’enjeu central de la participation citoyenne, un levier existe dans la prise en considération de ces initiatives afin de voir, faire et nouer des relations à l’environnement des personnes qui habitent ces territoires.