Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur ces projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.
Les quartiers populaires sont les épicentres des révolutions : révolutions urbaines, révolutions économiques, révolutions sociales, mais aussi politiques et culturelles. Leurs histoires racontent la part d’héritage de la France contemporaine : l’héritage des migrations, l’héritage du travail, l’héritage des expériences et des pratiques sociales qui ont façonné l’histoire de la ville industrielle et de l’avènement d’un «nous» collectif d’essence ouvrière.
L’histoire des quartiers populaires est scandée par des épreuves : celles du déracinement, de la promiscuité urbaine et de la dureté des conditions d’existence et d’exploitation de la classe ouvrière. Des épreuves assurément, mais également des espérances et des engagements, qui ont forgé une autre image, moins manichéenne et désenchantée, de l’histoire populaire. La relégation et la ségrégation des quartiers sont un fait historique qui a nourri tout un imaginaire dépréciatif et une représentation erronée et pourtant bien ancrée : les quartiers populaires auraient fait sécession. Depuis plus d’un siècle, s’enracine ainsi l’image de territoires perdus, labourés par des religions et des puissances étrangères qui embrigaderaient leurs habitants comme au temps des «banlieues rouges» dominées, dans les années 1920, selon leurs détracteurs, par un «parti de l’étranger», le Parti communiste français, inféodé à l’Union soviétique. Ces images continuent d’imprégner nos représentations anxiogènes des quartiers populaires et périphériques. Cette «peur des banlieues» est née avec l’avènement des métropoles, elle fige encore de nos jours nos représentations du réel.
La centralité ne se polarise pas uniquement à Paris et dans les villes-mères des capitales régionales, elle se déploie en réalité aussi dans les quartiers populaires, qui ont toujours été des laboratoires annonciateurs de changement social, de créations culturelles et d’innovations politiques. Ces territoires sensibles ont été des sas d’entrée dans la ville où, confrontés à l’altérité, leurs habitants ont appris la citoyenneté et le vivre ensemble grâce à l’école de la République, à l’éducation populaire, aux sociabilités teintées de patriotisme communal et aux services publics (les colonies de vacances, les centres de santé, le logement social…).
Dans ces quartiers, les usages des fêtes ont certainement plus qu’ailleurs créé des liens de voisinage et des sentiments d’appartenance à un même territoire, à un même monde. A l’époque de l’âge d’or de la ville industrielle, la socialisation et l’acculturation politique reposaient sur une matrice qui conciliait le travail et les vies sociale et familiale : on travaillait et on vivait dans un même écosystème, la ville et ses quartiers populaires. Le choc de la désindustrialisation, amorcé dès les années 1960, fut brutal et à l’origine de la désagrégation d’un modèle social d’intégration et d’adhésion. La centralité ouvrière s’est effondrée en l’espace d’une à deux générations, mais les quartiers populaires sont restés l’avenir des villes comme l’écrivait en 1974 le poète Jean Marcenac : «Un monde écrit de main d’homme comme une lettre à l’avenir.»