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Les ruralités retrouvent des couleurs à l’heure des transitions

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Par Monique Poulot, directrice du master Géographie, aménagement, Environnement de l’université Paris Nanterre.
A Saint-Viaud, Loire-Atlantique. (Maylis Rolland/Hans Lucas via AFP)
par Monique Poulot, directrice du master Géographie, aménagement, Environnement de l’université Paris Nanterre
publié le 11 juin 2024 à 1h30

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

Après une période scientifique et médiatique consacrée à la ville et à l’urbanisation, la question du rural ressurgit depuis une bonne dizaine d’années, appelant des scénarios multiples quant à sa contribution à l’espace français dans un nouveau pacte territorial. Le temps du tout urbain des logiques de mondialisation et de métropolisation, avec un rural devenu «un avatar spécifique du monde urbain», selon Michel Lussault (1), se heurte à la forte résilience des espaces ruraux en termes de populations et de modes d’habiter. Ce rural renvoie désormais autant à des réalités géographiques qu’à des catégories de sens ou des constructions sociales au point d’être désigné sous le terme de «ruralités». Ce retour des ruralités, fortement amplifié par les injonctions à la durabilité, se décline sous différentes figures.

Les premières prennent la forme d’un «faire campagne» plébiscité par les habitants comme les collectivités : à l’urbanisation des campagnes en tant que généralisation de modes de vie et de consommation répond aujourd’hui une ruralisation de la ville. Cette dernière puise dans les nouvelles formes urbaines, qui ne cessent de s’étaler avec la périurbanisation, mais aussi dans le paradigme du développement durable, qui normalise les normes et techniques d’aménagement, à l’image des Agenda 21 et des Grenelle. L’enherbement des berges des rivières et fleuves, mais aussi la remise en eau de certains lits fluviaux, enterrés ou détournés, se retrouvent désormais dans toutes les villes tant dans un souci de minimiser les risques que dans celui de créer des espaces de convivialité ; ce sont encore les trames vertes ou la diffusion de la gestion différenciée des espaces verts.

Mais cette ruralisation tend de plus en plus à se faire «agrarisation». Dans nombre de documents d’urbanisme, les espaces agricoles deviennent des infrastructures autour desquelles se construit la ville, à l’image du Scot de Rennes organisé autour de champs urbains déclarés espaces intangibles. L’agriculture, marqueur de base des ruralités, s’impose comme une des entrées des référentiels pour engager des transitions. L’architecture de ce modèle qualifié d’agri-urbain appelle des formalisations inédites (imbrication dans la ville, contrôle foncier…) autour de projets d’agriculture urbaine entrepreneuriaux ou associatifs (sur les toits, au pied des immeubles, dans les écoquartiers…) et de la multiplication des jardins plus ou moins pérennes au gré des projets immobiliers.

Enfin ces réagencements – certains internes à la ville – se doublent de réarticulations entre territoires des villes et territoires des champs, avec des métropoles et des communautés d’agglomérations englobant toujours plus de communes rurales. Cette nouvelle donne prend acte que la ville est «nue», comme l’a particulièrement révélé la crise sanitaire de Covid-19, et que l’essentiel des ressources (alimentation, énergie, eau, cadres de loisirs…) se situe dans les espaces ruraux. Ce nouvel horizon de mise en partage, rendu nécessaire par la crise environnementale, interroge les modalités à faire advenir. Les contrats de réciprocité figurent une des solutions de ces formes de transaction à condition qu’ils soient fondés sur une justice spatiale, particulièrement attentive à la répartition des services et à leur accessibilité, qui demeure un point d’achoppement au point d’alimenter frustrations et révoltes dans les ruralités.

(1) Le rural, de l’urbain qui s’ignore ? de Michel Lussault, Tous urbains.