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Agir pour le vivant : chronique

Les sangliers dorment-ils vraiment ?

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David Grémillet, directeur de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier, tient une chronique écologique pour «Libération» : «l’Albatros hurleur». Aujourd’hui, une étude sur les sommeil des sangliers qui vivent près des hommes.
(Martin Ruegner/Getty Images)
par David Grémillet
publié le 22 juin 2024 à 0h09

«Je les ai sentis avant de les voir» Guillaume Argentin, maraîcher bio dans le Luberon, me raconte le séjour d’une compagnie de sangliers à quelques mètres de ses serres. Cette parcelle, proche des habitations, est pourtant faiblement arborée. «Ils roupillaient tous dans un taillis de ronces», précise Guillaume. Son observation confirme une étude récente de mes collègues montpelliérains (1) : les sangliers n’évitent pas forcément la proximité des villages, ni des routes empruntées par les chasseurs, tant qu’ils trouvent des îlots de végétation suffisamment denses pour s’y reposer. Ils y passent les journées, attendant la nuit pour se nourrir et se déplacer.

Je tente d’imaginer ces existences cachées et tombe sur une étude scientifique fort à propos : en République tchèque, une équipe de recherche internationale vient d’effectuer la première analyse détaillée du repos des sangliers (2). Les scientifiques ont équipé 24 femelles et 4 mâles de capteurs de mouvement haute définition, similaires à ceux qui enregistrent tous les mouvements des humains munis de smartphones. Ceci leur a permis d’identifier les phases au cours desquelles les animaux sont couchés sur le ventre ou sur le côté, immobiles. Cette méthode a été validée en observant le sommeil d’un sanglier captif muni d’un capteur de mouvement.

Le sommeil répond à un besoin physiologique, il est aussi façonné par les conditions climatiques. On pourrait donc penser que des sangliers adultes vivant dans une même zone dorment de la même manière. Première surprise : alors que l’ensemble des sangliers étudiés se couchaient en moyenne 10 h 30 par cycle de 24 heures, certains ne se reposaient que 7 heures, alors que d’autres ne quittaient pas leurs bauges pendant 15 heures. Moins les sangliers dormaient, plus leur sommeil était morcelé avec, pour certains individus, jusqu’à 35 réveils par cycle de 24 heures. Ces sommeils courts et agités étaient exacerbés par les saisons et la météo : les sangliers dormaient généralement moins en plein été, pendant les grosses chaleurs. A contrario, leurs sommeils étaient particulièrement longs et paisibles sous la pluie, et dans la neige.

Soudain, les sangliers me paraissent si proches de nous, avec des personnalités individuelles exprimées au fil de leurs habitudes de sommeil. Je les imagine, comme certains humains, dormant paisiblement en toutes circonstances ou, au contraire, réveillés par chaque bruit nocturne, peinant à trouver le sommeil en pleine canicule estivale.

Simon Chamaillé-Jammes, écologue au CNRS, s’interroge cependant : «les sangliers dorment-ils vraiment, lorsqu’ils sont immobiles ? Les “gros dormeurs” identifiés par cette étude sont peut-être allongés, aux aguets, attentifs à tout signe indiquant qu’ils vont être découverts. Dormir, c’est aussi se rendre vulnérable. La manière dont les animaux dorment proches des humains nous renseigne sur la manière dont ils nous perçoivent».

(1) Fradin, G., & Chamaillé‐Jammes, S. (2023). Hogs sleep like logs : Wild boars reduce the risk of anthropic disturbance by adjusting where they rest. Ecology and Evolution, 13 (7), e10336.

(2) Mortlock, E., et al. (2024). Sleep in the wild : the importance of individual effects and environmental conditions on sleep behaviour in wild boar. Proceedings of the Royal Society B, 291 (2023), 20232115.