Fin décembre, les 500 000 habitants de la métropole de Montpellier bénéficieront de la gratuité des transports dans les bus et les trams. Une mesure à imiter dans toutes les villes de France ? Rendez-vous le 21 décembre, à l’Opéra Comédie pour un débat sur les enjeux de la mobilité. Entrée libre sur inscription.
N’est-ce pas une évidence ? Si la gratuité des transports publics incite les automobilistes à quitter leur voiture, ce ne peut être qu’une bonne chose, puisqu’un bus ou un tramway pollue a priori bien moins qu’une voiture par personne transportée. Inutile de le démontrer. Tout le monde en est persuadé. Et les élus qui prônent cette mesure surfent sur cette croyance et se gardent bien eux aussi d’y regarder de près.
Mon travail de chercheur sur la mobilité urbaine consiste à se méfier des évidences et à tout vérifier. Je m’intéresse ainsi à la cinquantaine de mesures visant à réduire le trafic automobile. Heureusement, pour cette tâche gigantesque, je ne suis pas seul et j’appartiens à une communauté scientifique mondiale qui s’entraide pour démêler toutes ces questions. Qu’observons-nous ? Comme on peut s’en douter, les mesures radicales, qui visent à réduire directement le trafic automobile, sont beaucoup plus efficaces que les mesures palliatives, qui encouragent des modes alternatifs sans «embêter» les automobilistes. Or la gratuité des transports publics fait partie sans conteste de cette seconde catégorie.
Intéressons-nous d’abord aux véhicules. Les bus sont loin d’être aussi vertueux qu’on le pense. Ils sont lourds (12 t pour un 12 m) et n’émettent en moyenne qu’un tiers de gaz à effet de serre en moins par personne transportée, qu’ils soient thermiques par rapport à une voiture thermique ou électrique par rapport à une voiture électrique, sur tout le cycle de vie du produit. Or, pour absorber le double de passagers engendrés par la gratuité, il faut renforcer la flotte de bus de 50%. Bilan, les bus gratuits sont mieux remplis, mais cette flotte supplémentaire accroît la pollution. Quant aux tramways, ils sont plus vertueux que les bus, mais le renforcement du nombre de rames prend beaucoup de temps, car il faut les commander et les construire, et entre-temps les voitures deviennent peu à peu électriques.
Analyse
Qui prend les transports publics devenus gratuits ? D’abord ceux dont le profil socioprofessionnel et les habitudes de mobilité sont les plus proches des usagers habituels des transports publics, à savoir : les cyclistes puis les piétons. Ce sont souvent des scolaires, des étudiants, des femmes, des personnes âgées. Et ces gens vont désormais se mettre à polluer et à devenir plus sédentaires, quel paradoxe !
Certains automobilistes sont aussi attirés, mais ce sont surtout des passagers de voiture et non des conducteurs qui, le plus souvent, continuent à prendre leur voiture sans leur passager. Eh oui, un automobiliste peut être un conducteur ou un passager, ce qu’on oublie trop souvent, y compris les enquêteurs mandatés par les villes rassemblées dans l’Observatoire des villes du transport gratuit (qui, contrairement à ce que suggère son nom, n’est pas du tout neutre, mais hébergé par l’Agence d’urbanisme de Dunkerque). On trouve donc en majorité dans les transports publics gratuits d’anciens piétons, cyclistes ou passagers de voiture. Et aussi quelques anciens conducteurs dont l’impact des déplacements en voiture disparus compense à peu près celui de l’offre de transport public renforcée.
Bref, on ne peut pas prétendre que le transport public gratuit est «bon pour l’environnement». Il a bien sûr d’autres avantages, comme celui de ne plus stigmatiser les publics précaires qui n’ont plus à quémander des tarifs sociaux, mais aussi un inconvénient majeur à long terme : tout l’argent mis dans la gratuité ne peut plus l’être dans l’extension du réseau.