Cet article est publié dans le cadre du Climat Libé Tour. Les 24 et 25 septembre, Libération vous invite à Grenoble sur le thème de «la science qui résiste» pour deux journées de débats, échanges, projections et ateliers à la rencontre de ceux qui se mobilisent.
Il n’aura fallu que quelques mois pour mettre à mal des décennies de recherche sur le climat aux Etats-Unis. Entre les chercheurs remerciés, les fonds de recherche bloqués, et plusieurs missions spatiales sur la sellette, il ne restera plus grand-chose des grandes institutions de recherche américaines. Depuis les années 60, les Etats-Unis ont joué un rôle majeur dans les sciences du climat. Mon domaine de recherche en particulier est né sur une plage de San Diego (université de Scripps), lorsque David Keeling a analysé les premiers échantillons de gaz à effet de serre venus des flancs du volcan Mauna Loa, à Hawaï. L’augmentation des concentrations mesurées au fil du temps n’a fait que confirmer ses premières analyses : l’accumulation des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. A partir de ces mesures faites à travers le globe, des chercheurs de l’Agence d’observation océanique et atmosphérique (Noaa) identifient la contribution de nombreuses espèces chimiques, comme le méthane ou le protoxyde d’azote, ainsi que l’absorption du dioxyde de carbone par les écosystèmes et les océans. Mais soixante années plus tard, le déni a pris le contrôle des opérations, déni assumé par des élus dont l’idéologie et l’agenda politique ne veulent plus s’alourdir d’une réalité qui dérange.
L’administration américaine licencie par simple courriel, au sein des laboratoires les plus prestigieux, comme celui qui analyse chaque année des centaines d’échantillons d’air à travers le monde, le Noaa GMD, à Boulder, dans le Colorado. On cherche également à effacer les preuves, éliminer les archives des serveurs, faire taire les chercheurs en limitant leur correspondance, leur participation aux conférences, et même contrôler leurs écrits par une censure gouvernementale. Ces pratiques peuvent être courantes sous certains régimes, et l’histoire a montré bien des fois que la science devait se plier sous le poids des idéologies. Mais nous parlons ici de chercheurs américains, boycottés par leurs propres institutions.
Effacement des preuves
Le dernier rapport du département américain de l’énergie, paru cet été, rédigé par cinq auteurs sélectionnés pour leurs opinions plus que pour leurs expertises, vient nier et falsifier les résultats de nombreuses études scientifiques, comme le rapporte la revue Nature. Au même moment, l’agence américaine pour l’environnement, mandatée par la Cour suprême pour suivre les émissions des gaz à effet de serre, voit ses services fermés, et quand certains d’entre eux osent s’opposer, l’administration les licencie dans l’heure.
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Il ne s’agit plus de semer la confusion mais bien d’établir une fausse vérité, avec des tampons officiels volés aux institutions américaines qui avaient jusqu’à présent préservé et soutenu l’objectivité scientifique sans tenir compte des idéaux politiques des administrations passées. Nous assistons aujourd’hui aux premières étapes de ce processus d’effacement des preuves pour réécrire les faits malgré le consensus international actuel.
Nous sommes tous observateurs, scientifiques d’Europe et d’ailleurs, et nous assistons sans bruit à la chute de nos collègues. Nous voyons les talents partir, prendre des retraites anticipées ou subir jour après jour les pressions d’une administration qui agit sous le couvert d’un vote démocratique. La communauté scientifique vient d’être touchée de plein fouet. L’urgence climatique n’est toujours pas contenue, et les voix de ceux qui la combattent aux Etats-Unis sont en train de s’éteindre. Ne restons pas muets face aux élus d’une époque d’obscurantisme, car la dérégulation du climat est grandissante et les quelques efforts mis en place sont encore bien loin de mettre à l’abri les écosystèmes et les sociétés.