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Libération
Solutions solidaires: tribune

L’ESS, une économie qui expérimente sans attendre

Président d’ESS France, Benoît Hamon salue l’apparition de «mille et une expérimentations locales, adaptées aux territoires car construites avec et selon les besoins des habitants et basées sur la coopération et la recherche d’une utilité sociale».
Benoît Hamon, à Bram le 8 septembre. (Idriss Bigou-Gilles/AFP)
par Benoît Hamon, président de l'ESS France
publié le 18 novembre 2024 à 5h15

Qui ne tente rien n’a rien, tel est le dicton. Mais celui qui n’a rien, peut-il tenter ? On pourrait se dire que oui, n’ayant rien à perdre. Cependant, l’innovation, la possibilité de vérifier une intuition, d’expérimenter, nécessite forcément des moyens. Un coût qu’il serait cynique de faire porter uniquement sur les épaules des millions de citoyens qui s’engagent bénévolement chaque jour dans notre pays. Car expérimenter revient à investir du temps, de l’argent, et à prendre des risques. Sans la contrepartie financière potentielle que trouvent les entrepreneurs conventionnels à la prise de risque dans l’économie capitaliste puisque en l’espèce il s’agit d’innovation sociale dans des organisations non lucratives.

L’économie sociale et solidaire (ESS) représente 2,6 millions d’emplois, soit 14 % de l’emploi privé en France et plus de 200 000 entreprises. Elle regroupe les associations, fondations, mutuelles, coopératives et sociétés commerciales de l’ESS. L’ESS est caractérisée par des principes de gestion – gouvernance démocratique et non lucrativité ou lucrativité limitée – qui dessinent une autre forme d’économie.

L’ESS expérimente depuis toujours, et elle le fait sans attendre d’être «payée pour». Le budget dédié par l’Etat à son développement transversal était de 19,2 millions d’euros en 2024 et pourrait être réduit à 16 millions en 2025, une somme dérisoire dans un budget total chiffré en centaines de milliards. De quoi faire tomber de nombreux préjugés sur une dépendance prétendue massive de nos modèles à l’aide publique.

Pourquoi l’ESS expérimente-t-elle, là où d’autres ne le font pas ? Se résoudre à l’inaction face aux urgences de l’époque n’est tout simplement pas une option. L’explosion des inégalités, le dérèglement climatique, l’accès aux soins et aux services de première nécessité nécessitent la mobilisation de la société civile pour lancer de nouvelles solutions. Ainsi fleurissent mille et une expérimentations locales, adaptées aux territoires car construites avec et selon les besoins des habitants et basées sur la coopération et la recherche d’une utilité sociale. Epiceries solidaires, banques alimentaires, foncières solidaires, crèches associatives : il serait impossible de faire une liste exhaustive des acteurs de l’ESS qui choisissent d’expérimenter et des innombrables difficultés qu’ils dénouent. Nous pouvons retenir que ces acteurs, non seulement sont présents précisément là où la puissance publique et l’économie conventionnelle sont absentes, mais ils y entreprennent et inventent de nouveaux communs qui inspirent ensuite toute la société.

Prenons l’expérimentation «Territoires zéro chômeur de longue durée» lancée à l’initiative d’ATD Quart Monde : elle a été jugée particulièrement utile pour les populations éloignées de l’emploi par plusieurs collectivités. Un constat confirmé par la note d’étape de France Stratégie. La réduction du chômage est un sujet récurrent de l’actualité politique, érigée en priorité absolue par les gouvernements successifs. Pourtant, il semblerait que ce soit la société civile qui ait su inventer des coopérations pérennes, alignées sur les besoins locaux, portées par une intelligence collective, allant bien au-delà d’une injonction à «traverser la rue» pour trouver du travail.

Alors que les discussions sur le projet de loi de finances 2025 ont lieu, j’appelle donc le gouvernement à la raison : le budget proposé pour l’ESS, qui subirait une réduction de 25 %, est inconscient. Il pourrait engendrer la suppression de 186 000 emplois, créant de fait un plan social massif dans l’ESS. Alors certes, les organisations de l’ESS ne s’arrêteront pas d’expérimenter demain. Mais parier sur la résilience de leur énergie bénévole pour leur couper les ailes est une décision absurde. D’abord parce que cette énergie n’est pas inépuisable mais aussi et surtout parce qu’il appartient à l’Etat au nom de l’intérêt général, soutenir et renforcer ceux qui réparent le monde et celles et ceux qui le peuplent, pas de les affaiblir.