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Les conférences de la Cité des sciences

«L’évolution d’une plante peut survenir en l’espace de quelques décennies»

Les conférences de la Cité des sciences et de l’industriedossier
L’écologue Pierre-Olivier Cheptou détaille les mutations des fleurs des champs imposées par les changements climatiques et la chute de la biodiversité.
(ipopba/Getty Images. iStockphoto)
publié le 11 mars 2023 à 10h03

Libération, partenaire du cycle de conférences «Qu’est-ce que la vie ?» organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. A suivre sur place ou en direct sur YouTube, la conférence «Les stratégies de reproduction des plantes» de Pierre-Olivier Cheptou, écologue et évolutionniste, le mardi 14 mars à 18 h 30.

Des fleurs différentes, des graines moins mobiles et des plantes hermaphrodites… Directeur de recherche au CNRS et au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, Pierre-Olivier Cheptou nous raconte comment les plantes s’adaptent aux changements en cours, notamment pour se reproduire.

Quels sont les changements auxquels sont confrontées les plantes que vous étudiez ?

Je travaille principalement dans les milieux anthropisés, c’est-à-dire modifiés par les activités humaines, en ville ou dans les milieux agricoles. J’ai par exemple étudié la pensée des champs, une petite fleur familière des cultures de colza de la région parisienne, ou Crepis sancta (sorte de pissenlit), ces petites fleurs jaunes très répandues, ou encore le bleuet. Ces espèces sont confrontées au réchauffement climatique mais aussi au déclin des pollinisateurs.

Comment procédez-vous pour étudier l’évolution de ces plantes ?

Pour comparer les plantes d’aujourd’hui à celles du passé, nous travaillons à partir de graines. En France, dans les années 1980, des conservatoires botaniques ont pris l’initiative de conserver des graines pour être en mesure, au besoin, de les réintroduire. Nous les utilisons pour étudier l’adaptation climatique. Cela s’appelle l’«écologie de la résurrection», même si le terme ne me plaît pas trop. Ainsi nous faisons pousser ces semences anciennes à côté de celles actuelles dans des conditions et un environnement similaires. Nous pouvons voir les évolutions, et comparer les propriétés d’hier à celles de maintenant.

Quelles sont les différences perçues entre les plantes d’hier et celles d’aujourd’hui ?

Nous constatons que le fleurissement intervient plus tôt et que les fleurs ont changé de taille. Elles possèdent des traits floraux différents, sans doute est-ce lié au déclin des pollinisateurs. Autre évolution majeure, l’autofécondation. La plupart des plantes sont en général hermaphrodites : elles ont la capacité de s’autoféconder et avec la diminution des butineurs, elles l’utilisent davantage. Dans un autre registre, leur façon de disperser les graines a aussi évolué. Nous avons constaté qu’en ville, les mauvaises herbes, les adventices, produisent plus de grosses graines qui ne bougent pas que de petites qui s’envolent. Répandre ses graines dans un environnement fragmenté et urbain est hasardeux. Il vaut mieux les laisser sur place.

Cette capacité à s’adapter peut sembler une bonne nouvelle ?

En réalité, c’est un résultat inquiétant, car si l’interaction entre plantes et pollinisateurs est brisée, c’est le fonctionnement de l’écosystème qui est bouleversé. Si les plantes se passent des insectes, ces derniers n’ont plus rien à manger alors qu’ils nourrissent eux-mêmes les oiseaux. Cela peut déclencher un effet en cascade. Auparavant, selon les idées de Darwin, les scientifiques pensaient que ces processus étaient lents et perceptibles sur des millénaires mais on se rend compte que ces évolutions peuvent survenir beaucoup plus rapidement, en l’espace de quelques décennies.