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Solutions solidaires : initiative

L’Hérault veut donner une voix aux enfants placés

Afin d’améliorer sa politique de protection de l’enfance, le département occitan a créé un Comité des jeunes destiné à ceux qui furent, ou sont encore, placés en foyer ou en famille d’accueil.
Dans l’Hérault, environ 2 800 enfants sont aujourd’hui confiés au conseil départemental. (Théophile Sutter/Libération)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier
publié le 18 novembre 2024 à 5h45
(mis à jour le 18 novembre 2024 à 14h51)

«Ici, nous sommes tous différents. Nous n’avons pas le même passé, mais nous avons tous connu le placement, explique Vic, 24 ans, en rangeant ses cheveux blonds sous un bonnet de laine. Personnellement, j’ai vécu en famille d’accueil durant quatre ans avant de rejoindre un lieu de vie collectif.» Assise à ses côtés, Emma, 20 ans, raconte qu’elle est toujours suivie par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), après avoir connu la vie en famille d’accueil pendant trois ans. «Moi j’ai été pris en charge par l’ASE toute ma vie, témoigne Matthias, 23 ans. De la pouponnière à l’internat, en passant par la maison d’enfants et les foyers, j’ai tout connu jusqu’à mes 21 ans.» Fatima, 26 ans, a, quant à elle, résidé en famille d’accueil de ses 3 ans à ses 17 ans.

Chaque mois, ces jeunes se réunissent dans les locaux montpelliérains de l’Association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (Adepape). Ils forment le noyau dur du Comité des jeunes, créé en mai 2022 par le département de l’Hérault. Objectifs : créer un dialogue entre des jeunes confiés à l’ASE aujourd’hui et par le passé ; mieux prendre en compte leur parole et leurs pistes de réflexion. Matthias résume : «Nous nous sommes investis dans ce Comité des jeunes, car nous pensons qu’il peut participer à améliorer la protection de l’enfance et à changer le regard que l’on porte sur les enfants de l’ASE.»

«Ruptures affectives»

Un regard lourd et stigmatisant, comme ils le soulignent tous : «Les gens nous mettent dans une case.» Mais ce constat est loin de résumer les douleurs qu’ils ont pu traverser. «Mon éducatrice spécialisée, je ne l’ai pas souvent vue», confie Emma. «Le système ne nous accompagne pas vers l’autonomie, enchaîne Matthias. On ne nous forme pas à devenir des adultes, prêts à affronter la vie réelle.» Fatima, elle, dénonce «la multiplication des ruptures affectives» des enfants placés, ballottés entre les familles, les structures sociales et les écoles au gré de décisions institutionnelles sur lesquelles les premiers concernés n’ont guère de prise. «Ce qui est formidable avec le Comité des jeunes, souligne Vic, c’est que le département veut entendre nos voix.»

Séverine de Montredon, directrice du pôle action sociale et logement au département de l’Hérault, reconnaît que cette parole est précieuse : «Ce comité apporte un vrai plus à notre institution ainsi qu’à nos partenaires, comme les travailleurs sociaux et les éducateurs spécialisés. Certains jeunes nous ont ainsi confié qu’ils n’avaient pas compris pourquoi, enfants, ils avaient été placés, car ils n’avaient pas tous les éléments de compréhension. Ces témoignages nous confrontent à leur vécu, à leur réalité.» Le rôle du Comité des jeunes reste consultatif, mais ses participants ont été associés à l’élaboration du schéma départemental «enfance et famille». Adopté en début d’année, celui-ci constitue la feuille de route du département pour les quatre années à venir. De plus, des jeunes du Comité témoignent deux fois par an lors des sessions de formation des travailleurs sociaux.

Un engagement «sanctuarisé»

Dans l’Hérault, environ 2 800 enfants sont aujourd’hui confiés au conseil départemental. «Des chiffres en augmentation, tout comme le nombre de signalements faits auprès de la justice et des informations préoccupantes qui parviennent jusqu’à nous», déplore Séverine de Montredon, qui insiste sur l’engagement «sanctuarisé» de sa collectivité : «Notre politique de l’enfance et de la famille a été dotée d’un budget de 219 millions d’euros en 2024, soit 12 % du budget global de la collectivité. L’Hérault compte parmi les départements précurseurs, notamment en ce qui concerne les contrats jeunes majeurs. Ce dispositif s’adresse aux 18-21 ans et évite des “sorties sèches” de l’ASE.»

Vic a bénéficié de ce dispositif, qui lui a permis de suivre des études en arts du spectacle. Fatima poursuit son master en intervention et développement social, Matthias a opté pour un cursus Sciences Po et travaille dans un club sportif… Ces jeunes tiennent enfin les rênes de leurs destins. Et caressent le même rêve : que leur comité s’élargisse afin qu’un maximum d’enfants placés les rejoignent et ressentent moins l’isolement et la stigmatisation dont eux-mêmes ont souffert. Vic s’y attelle : elle prépare un site internet et un podcast sur le comité afin que les jeunes hébergés en foyer ou en famille d’accueil puissent en connaître l’existence et viennent, eux aussi, faire entendre leur voix.