Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du Mucem à Marseille. Libération, partenaire de l’événement depuis ses débuts, proposera, jusqu’en avril 2025, articles, interviews ou tribunes sur les thèmes de cette nouvelle saison. A suivre le lundi 13 janvier le débat «L’humour engagé peut-il nous réconcilier ?»
«L’humour n’est qu’un des moyens de se défendre contre l’univers», disait Mel Brooks. Satire politique, dérision, comedy club et humour communautaire, l’humour oscille entre sincérité salvatrice et risque de fragmentation de la société. Entre clashs et polémiques, l’humour engagé peut-il aussi être un lieu d’ouverture et de réconciliation ?
«On va tous très mal ! Nous sommes en crise depuis 2008. Alors ça fait longtemps que ça va mal», analyse Nora Hamadi, journaliste et productrice de l’émission Sous les radars de France Culture, qui a récemment consacré une de ses émissions à «la France en mode Stand Up» (et animera ce débat au Mucem). Et quand les gens se sentent acculés, épuisés, certains se lancent dans le crossfit et d’autres se jettent dans l’humour. «L’humour comme symptôme d’une société malade qui a besoin de rire de soi, et de communier dans ce rire», poursuit-elle.
Et de fait, l’humour dévale à nos portes, dans nos villes, nos villages, nos «espaces culturels», nos bars, nos petites scènes et nos grandes salles ; via nos portables sur Instagram, Tik Tok ou YouTube, bref dans tous les interstices de notre quotidien grisâtre, il y a un Paul Mirabel, un Redouane Bougheraba, un Alexis Le Rossignol ou une Blanche Gardin qui s’immiscent. Plantés sur scène avec comme seule arme un micro, ils ou elles se paient le luxe de remplir un Stade vélodrome à Marseille ou l’Accor Arena à Paris. Sur le nombre total de spectacles proposés en 2023, ceux d’humour représentent plus de 28 %, selon les chiffres du Cercle national de la Musique.
La tendance est évidente. Certaines salles comme le Point-Virgule à Paris, ont même battu en 2023 des records de fréquentation avec 90 000 spectateurs. Quant aux «Comedy-Clubs» qui fleurissent un peu partout dans le terroir français, ils permettent aux jeunes artistes, de se livrer en quinze minutes, devant un parterre de spectateurs locaux avides de nouvelles expériences humoristiques.
Le rire est bien là, pas de doute. Mais de quel humour parle-t-on ? Engagé comme jadis, avec un grand «E» ou un humour d’entre soi, un humour de connivence avec un public déjà acquis ? «L’humour engagé, plutôt politique avec une critique de gauche, c’était celui d’un Bedos ou d’un Coluche, qui offraient une critique du gouvernement, et parlaient pour ceux d’en bas, rappelle Nelly Quemener, sociologue en sciences de l’information et communication au Celsa, auteur du Pouvoir de l’humour (paru en 2014, chez Albin Michel) qui participera à ce débat. Puis il y a eu celui des années 1990-2000 avec un Djamel Debbouze qui a amené la question sociale de classe, le sujet du racisme, en parlant d’un point de vue personnel, authentique». Mais la grande nouveauté, la lame de fond qui nous porte aujourd’hui est celle du stand-up ou la parole de soi en direct. «Cette forme d’humour favorise les récits d’expériences vécues et permet d’aborder des thèmes comme le sexisme, l’homophobie, le racisme, la dépression, l’autisme, le fait d’être bipolaire, explique Nelly Quemener. Un levier d’expression publique de choses qui jusqu’alors n’avaient pas été formulées.»
L’humour engagé d’un Coluche, s’est transformé en un humour engagé aux côtés des individus. «Il est engagé parce qu’il participe à une conscientisation politique de notre société, souligne Nora Hamadi. Il nous fait prendre conscience du réel que vivent certaines personnes. C’est un humour qui nous «déplace», qui nous donne à voir un réel différent. Quand l’artiste Tahnee nous raconte dans un sketch le parcours du combattant d’une lesbienne en couple avec une femme racisée qui cherche désespérément le sperme d’un homme noir, on comprend immédiatement l’absurdité de la situation et une forme d’empathie s’exprime en nous.» L’humour mettrait donc à notre portée la part de différence des autres. L’entrevoir, la découvrir et s’en sentir touché, voilà qui nous réconcilierait ?
A voir… Comme si rire ensemble de sujets qui ne nous concernent pas directement mais nous touchent, nous permettrait de s’ouvrir aux autres… Les passes d’armes entre Sophia Aram, Guillaume Meurice, Blanche Gardin et d’autres semblent désormais bien loin du rire joyeux. «A un niveau collectif l’humour nous permet de nous brasser», insiste Nora Hamadi. Mais attention, «cette mise en scène de soi, d’expériences minoritaires peut aussi avoir un effet offensant, rappelle Nelly Quemener. Entre une blague inclusive et une blague offensante, la limite est parfois très ténue. En fonction du public, le sens de la blague peut être perçu très différemment…»