Les petites villes, dans l’imaginaire collectif, sont celles où il ne se passe rien. Surtout si elles vivent à l’ombre de métropoles qui, elles, aimantent la population active et proposent une foule de services en déclin dans les zones périurbaines. Or ces différents espaces de centralité constituent une géographie variable, qui peut et doit être repensée. Trois questions à Christelle Morel-Journel, enseignante-chercheuse en études urbaines à l’Université de Saint-Etienne et autrice de Régénérer une petite ville sous double influence métropolitaine, le cas de Rive-de-Gier (Autrement, 2022).
Qu’est-ce que l’interterritorialité ?
C’est un concept forgé dans les années 90 par le géographe Martin Vanier (1) qui s’est intéressé aux espaces périurbanisés sous influence métropolitaine, pour voir comment les différentes collectivités territoriales sont en capacité de coopérer et d’élaborer un agenda politique commun. La force de ce concept est de décaler l’acception de ces territoires qu’on associe à une juxtaposition, de prêter attention à la manière dont ces territoires peuvent être emboîtés et affectés par des logiques qui ne sont pas strictement territoriales, bornées.
L’espace périurbain souffre d’une connotation péjorative, associée à une forme de relégation, pourquoi constitue-t-il aussi une richesse ?
Un nombre très conséquent de personnes y habitent, avec une multiplicité de problématiques fortes, telles les mobilités. Cet enjeu est crucial et a d’ailleurs été exprimé lors du mouvement social des gilets jaunes, parmi les plus forts de ces dernières années. L’espace périurbain renvoie aussi à une consommation de l’espace, à une logique de coût de l’urbanisation sur les espaces agricoles, à des enjeux de redistribution et de justice. Un certain nombre de coûts sont liés au fait que des ménages y habitent et expriment donc des besoins scolaires, sanitaires, auxquels il n’est pas toujours facile de répondre pour les collectivités. Ces territoires sont à la fois affectés par des logiques qui les dépassent et soumis à une forme de proximité de certaines décisions, à l’échelle communale et intercommunale.
Rive-de-Gier se trouve à mi-chemin entre Lyon et Saint-Etienne, dans un «point de passage obligé» de la vallée, explique son maire, qui dit en plaisantant que ces métropoles sont en réalité «les banlieues de Rive-de-Gier», et non l’inverse. Quelle part de vérité comporte ce trait d’esprit ?
L’idée de ville de banlieue, dans un contexte où la banlieue garde un sens péjoratif, suppose d’être référé à une seule ville. A Rive-de-Gier, même si la population active conserve un tropisme plus stéphanois que lyonnais, il y a cette double référence aux deux grandes villes. Rive-de-Gier garde certains attributs de la centralité classique, notamment en matière culturelle. C’est une ville de 16 000 habitants, mais elle a un conservatoire, un théâtre, une salle de cinéma d’arts et essai, elle a été un acteur clé d’un festival de jazz renommé. Historiquement, elle bénéficie de politiques publiques culturelles assez relevées. Une banlieue dépend complètement d’un centre, ce qui n’est pas le cas dans cette ville, où il y a matière à travailler, à vivre au quotidien. En 2019, 75 % des habitants travaillaient en dehors de la commune, ce qui veut aussi dire que 25 % de la population active y exerçait son activité sans avoir à rallier une métropole ou l’autre.