En partenariat avec l’Ecole des arts décoratifs, l’Ecole normale supérieure–PSL et le Muséum national d’histoire naturelle, «Libération» organise le 23 septembre une biennale pour célébrer le vivant. En attendant cette journée de débats et d’échanges, nous publions sur notre site tribunes et éclairages sur les thématiques qui seront abordées durant la biennale.
Professeur en écologie marine au Muséum national d’histoire naturelle, Eric Feunteun étudie les trajectoires des écosystèmes marins côtiers et des poissons migrateurs en réponse au changement global. Installé à la station marine de Dinard, il est membre de l’UMR Borea, un laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques.
Quels sont les grands changements qui vont affecter le littoral ces prochaines années ?
Globalement, même si c’est compliqué d’anticiper, nous nous attendons à une montée des eaux, peut-être un mètre supplémentaire d’ici 2100, et à des événements extrêmes plus fréquents, comme des tempêtes. Cela va déboucher sur des «surcotes», des milieux poldérisés, urbains ou agricoles plus souvent submergés. Face à cela, soit les hommes décident de consolider le bâti avec des digues par exemple, soit ils font avec, en s’adaptant et en laissant faire. Si les écosystèmes sont rendus à la nature, les habitats du haut de l’estran actuel, types marais salés, herbiers marins ou sansouïres [zones inondables aux sols très salés, ndlr], seront déportés vers l’amont. Deuxième grand changement à venir, les températures vont augmenter, et il faut voir comment les organismes vivants vont le tolérer. Enfin, les espèces non indigènes vont probablement poursuivre leur implantation en modifiant les cortèges d’espèces présentes initialement.
Justement, peut-on déjà constater ou anticiper l’impact de ces changements sur les espèces ?
Il existe des études qui montrent que les communautés marines sont de plus en plus bousculées. Prolifération de poulpes, daurades royales implantées dans la Manche, etc. Les communautés d’algues ont changé en l’espace de vingt ans en Bretagne. Certaines espèces ont migré vers le nord. D’autres ont disparu ou se sont concentrées vers la pointe bretonne. Dans le nord de l’Espagne, il existe des zones où les algues rouges ont disparu, sans être remplacées. Ce type d’algues pousse en dessous des basses mers jusqu’à des profondeurs de 30 à 50 mètres. Elles forment des prairies denses. Très productives, elles bénéficient à tout l’écosystème, nourrissent par répercussions les coquillages, les poissons, les oiseaux. Vont-elles diminuer ou disparaître ? Et surtout qui viendra à leur place ? En effet chaque espèce possède ses caractéristiques. Elles sont plus ou moins productives, consommables etc. et on ignore encore ce que vont générer ces remplacements. Toute la question est de savoir si ce changement de biodiversité va s’accompagner d’une résilience fonctionnelle ou pas.
Et au niveau des espèces animales comme les poissons, votre spécialité ?
Je m’intéresse notamment aux poissons migrateurs qui vivent entre eau douce et mer, l’anguille, l’alose, ou le saumon. Les poissons migrateurs sont parmi les plus menacés au monde. Toutes ces espèces passent par les milieux côtiers à un moment donné et nous essayons d’appréhender comment les changements vont affecter leurs cycles biologiques. Une des modifications majeures pour elles actuellement, c’est la pollution de l’eau par les médicaments, les dérivés de produits industriels, les métaux, les pesticides. L’enjeu du XXIe siècle, ce n’est pas seulement le climat, mais aussi la réduction de ces molécules. Elles ne tuent pas directement mais modifient les organismes sur du long terme. Si on prend les anguilles par exemple, elles diminuent en longueur. Perdre 20 cm et passer de 80 cm à 60 cm, c’est énorme. Car chez l’anguille, la fécondité dépend de la taille et dans ce cas-là, elles perdent 25 % de leur production d’œufs. A ce jour, même si l’on en parle moins, c’est la cause principale de la disparition de la population européenne d’anguilles, bien au-delà du braconnage et de la pêche légale.
A vos yeux, le combat numéro 1, c’est de réduire les polluants ?
Oui car les effets du réchauffement climatique seront d’autant plus importants si le niveau de contamination ne baisse pas. Il faut donc sensibiliser les gens et réglementer. Si notre travail, en tant que scientifique, c’est d’alerter, les politiques doivent ensuite légiférer et protéger. Sans sombrer dans la collapsologie, la société doit s’interroger et trouver des solutions. Il faut voir cela comme une opportunité.