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Libération
Grand âge

Logements et ruralités : à Xertigny, comment vieillir chez soi

Dans la ville vosgienne, un réel décalage s’observe entre les investissements de la municipalité dans un nouvel Ehpad et le bien-être des seniors, préférant souvent rester chez eux.
Xertigny (Vosges), 2 600 habitants, cherche à rajeunir son image pour attirer de nouvelles populations. (Tristan Vuano/Hemis. AFP)
publié le 20 juin 2025 à 5h06

Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.

Campagne et vieillissement. Les deux notions charrient chacune leur lot de représentations négatives ; et placées ensemble, voilà qu’elles produisent une envie de déguerpir… Peur naturelle face à la fin de vie ? Angoisse face à des territoires moribonds ? Pas tout à fait. Frédéric Balard, sociologue du vieillissement, rappelle que l’affaire est aussi une construction sociale et politique.

Dès les années 60 et le rapport Laroque (qui dressait le constat de la paupérisation des plus de 65 ans), les personnes âgées sont considérées dans les programmes publics comme inéluctablement déficitaires et dépendantes. Un problème à résoudre, en somme. Aujourd’hui encore, injonction est faite aux collectivités rurales d’anticiper au mieux les difficultés liées à leur population âgée. «Les clichés perdurent, il reste difficile de penser l’attractivité d’un territoire dans le cadre de son vieillissement», regrette Frédéric Balard.

80% des Français souhaitent vieillir à domicile

Illustration à Xertigny, 2 600 habitants dans les Vosges, dont l’équipe municipale souhaite prendre à bras-le-corps le manque d’attractivité supposé. «Ce que l’on recherche, c’est une image un peu dynamique, un peu rajeunie, pour attirer du monde», détaille un adjoint à la maire. Pour circonscrire le «problème» des aînés, un Ehpad flambant neuf est construit, tandis que le vieil hospice devrait être réhabilité en de nouveaux logements inclusifs, à même de combler les besoins des seniors.

Mais en enquêtant sur place, Frédéric Balard et Elsa Martin, maîtresse de conférences en sociologie urbaine (et autrice avec Frédéric Balard et Johan Freichel de Habiter et vieillir, Autrement /Popsu) mettent à jour le profond décalage entre la volonté d’attractivité de la municipalité, et une population comblée par la tranquillité de Xertigny (son relatif enclavement a même été perçu comme protecteur durant le Covid) et qui se satisfait de son dynamisme associatif.

Autre hiatus, la vision des élus largement fantasmée d’un grand âge homogène et linéaire, avec cette idée qu’en vieillissant, on perd nécessairement en mobilité, et que donc on quitte son logement familial pour se rapprocher du centre dans un logement adapté ; puis, lorsque la dépendance devient plus forte, on s’installe dans un Ehpad. En pratique, sans surprise, le schéma ne séduit guère les seniors de Xertigny. La plupart préfèrent rester chez eux, près de leurs habitudes et de leurs souvenirs familiaux. Bien souvent, ils sont aussi attachés à leur statut résidentiel : difficile de troquer une maison dont on est propriétaire, symbole de l’ascension sociale d’une vie, contre une location, même en centre-ville.

La petite cité vosgienne et ses habitants n’ont rien d’exceptionnel : 80% des Français souhaitent également vieillir à domicile. Alors, si les Ehpad et les habitats adaptés ne sont pas superflus, le maintien de services et un accompagnement humain fort sont essentiels, pour permettre à chacun d’adapter sa vie à son choix de logement. «Il existe une multitude de possibilités, aucune n’est parfaite, mais la solution unique, clé en main, que semblent parfois chercher les acteurs publics, n’existe pas», rappelle Frédéric Balard. Sans pour autant tomber dans le déni de vieillesse, il exhorte à en finir avec cette fabrique de l’étrangeté des personnes âgées. Le vieux, ce n’est, ni plus ni moins, que nous demain.