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Libération
Documentaire

Made in China en Ethiopie

Avec «Made in Ethiopia», les réalisateurs Xinyan Yu et Max Duncan filment les espoirs et les désillusions soulevées par un projet industriel chinois dans la campagne éthiopienne. Un récit géopolitique à hauteur d’homme. A découvrir au Grand Bivouac.

«Made in Ethiopia». (DR)
Publié le 08/10/2025 à 12h06

Avec elle, c’est «win-win-win». Les travailleurs, la municipalité, les investisseurs : tout le monde y gagne, assure à qui veut bien l’écouter Motto, une entrepreneuse chinoise survoltée. A Dukem, ex-petite ville agricole au sud-est d’Addis-Abeba, elle concentre toutes ses forces dans l’extension d’un parc industriel abritant déjà une centaine d’usines chinoises. L’immense carré entouré de hauts murs semble avoir été posé au milieu de la campagne éthiopienne, en une image efficace des forces et des asymétries de la «Chinafrique».

Qu’importe, Motto n’hésite pas à pousser la chansonnette lors du nouvel an chinois, en robe bleue de princesse, pour convaincre ses partenaires éthiopiens de sa sincérité. On aimerait la croire, tout comme Workinesh, agricultrice et mère de famille, ou comme la jeune Beti, ouvrière d’une usine textile. Toutes deux n’ont guère d’autres choix que d’embrasser la promesse de modernité chinoise, et avec elle, peut-être, de s’émanciper d’une ruralité patriarcale.

De 2019 à 2024, les réalisateurs Xinyan Yu et Max Duncan ont suivi ce colossal projet d’investissements chinois - 30 000 emplois seraient à la clé - à travers les destins de Motto, Workinesh et Beti. Trois femmes, pour trois regards posés sur une situation évidemment complexe. Avec ce premier long-métrage documentaire, ils dressent un constat nuancé mais sans fards de la présence chinoise en Afrique. Bien sûr, le «win-win-win» annoncé ne tient pas ses promesses. Pour étendre le parc industriel, les agriculteurs sont expropriés des terres qu’ils cultivent et habitent – certains sont modestement dédommagés, d’autres, à l’instar de Workinesh et les siens, attendent toujours. Entre les murs des usines, les conditions de travail sont terribles et les salaires (50 dollars par mois) permettent à peine de survivre. «5 000 pièces par jour ? Même les machines ne vont pas aussi vite !», proteste une ouvrière. «Ils font des milliards de bénéfices, mais ils ne donnent que des miettes», dénonce le maire de Dukem.

Made in Ethiopia rejoue l’histoire universelle de l’exploitation. Mais grâce à la présence de Motto, le récit échappe au manichéisme. Car cette femme d’affaires apparaît moins comme une «winneuse», elle qui a laissé sa fille en Chine et vit loin d’elle depuis des années, que comme un pion d’un développement à marche forcé absurde, dont les véritables gagnants demeurent invisibles. «Nos sacrifices ne profitent pas à notre pays, car il y a des voleurs impliqués», dit Workinesh, pas dupe, à sa fille.

En 2020, lors du Covid, des milliers de salariés, dont Beti, sont confinés des mois durant à l’intérieur des usines. Puis c’est la guerre qui éclate (elle durera deux ans et fera 600 000 morts) : l’inflation explose, les investisseurs fuient, le projet d’extension est à l’arrêt. Pour Motto, ce sont des années de travail et de sacrifice pour rien ; pour Workinesh, c’est une vie de pauvreté qui s’annonce. «On ne suit pas nos rêves, on va où la vie nous mène», lâche la jeune Beti.