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Libération
Les journées du vivant et de la Terre: tribune

Médecine : les microbiotes, une «jungle intérieure» porteuse d’espoir

Les journées du vivant et de la Terre à Rouendossier
Pour le chercheur David Ribet, la communauté scientifique doit communiquer et la science du microbiote, qui pourrait contribuer à la médecine de demain.
Une vue microscopique d'un microbiote fongique oral. (Steve Gschmeissner /Science Photo Library)
par David Ribet, chargé de Recherche Inserm, professeur à l'École Polytechnique
publié le 4 octobre 2023 à 1h10
Conférences et débats, rencontres avec des biologistes, anthropologues, agriculteurs, écrivains… Du 13 au 15 octobre à Rouen, la fédération Biogée organise les journées «Naturellement !». Thématique de cette deuxième édition : les microbiotes, indispensables microbes pour la santé et l’environnement.

Notre corps héberge en permanence des milliers de milliards de micro-organismes jouant un rôle fondamental pour notre santé. Ces assemblages de bactéries, de virus et d’autres organismes unicellulaires forment de véritables écosystèmes vivant en symbiose avec notre corps. En fonction de leur localisation, ces écosystèmes sont dénommés microbiote cutané, intestinal, respiratoire ou vaginal. Contrairement aux micro-organismes dits pathogènes, responsables de maladies infectieuses, les micro-organismes des microbiotes nous rendent quotidiennement de grands services. Ils produisent des molécules essentielles pour le corps humain, comme des vitamines, dialoguent en permanence avec nos différents organes et nous protègent des micro-organismes infectieux.

Déséquilibre

L’intérêt de la communauté scientifique pour les microbiotes a fortement augmenté ces quinze dernières années. Ce récent engouement résulte notamment de différents progrès technologiques permettant d’obtenir facilement la carte d’identité des micro-organismes présents dans ces microbiotes. Très rapidement, de nombreuses études ont montré que le microbiote intestinal d’individus souffrant de maladies comme le syndrome de l’intestin irritable, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou certaines maladies métaboliques était différent de celui d’individus en bonne santé. Ces observations ont amené les scientifiques à proposer que les micro-organismes du microbiote seraient impliqués dans le développement de ces maladies.

Il reste à l’heure actuelle encore beaucoup de travail à réaliser pour démontrer le rôle causal du microbiote dans les nombreuses maladies où il est suspecté d’être impliqué. En effet, la simple observation d’une différence de composition du microbiote chez des patients n’est pas suffisante pour conclure à un rôle direct du microbiote dans une pathologie donnée. Les changements de composition du microbiote pourraient effectivement apparaître secondairement au cours de la maladie et ne pas être responsables des symptômes de départ. La démonstration d’un rôle direct du microbiote dans une pathologie est un élément clé car elle ouvre alors la possibilité de soigner cette maladie en «corrigeant» les éventuels déséquilibres de ce microbiote.

Une jungle intérieure

Il existe à l’heure actuelle différents moyens pour modifier la composition des microbiotes. La plupart de ces techniques visent plus particulièrement le microbiote intestinal. Ces «leviers» comprennent les prébiotiques (des nutriments favorisant la prolifération de certaines espèces bactériennes bénéfiques), les probiotiques (qui sont des souches bactériennes sélectionnées ayant un effet bénéfique sur notre santé) et la greffe de microbiote (au cours de laquelle on prélève le microbiote d’un individu «donneur», sain, pour le réimplanter dans un individu «receveur», malade). Cette dernière technique s’est révélée extrêmement efficace dans le traitement des infections par Clostridioides difficile, une bactérie responsable d’inflammations intestinales sévères.

De nombreux essais cliniques sont actuellement en cours pour évaluer l’efficacité de ces greffes de microbiote dans d’autres pathologies. Toutes ces approches de modulation du microbiote ont suscité un très fort engouement de la communauté scientifique, de l’industrie pharmaceutique et beaucoup d’espoirs de la part des patients. Il reste maintenant à évaluer rigoureusement les effets sur la santé des différentes solutions thérapeutiques proposées et à valider ou non leur intérêt médical.

Un autre aspect essentiel est que les micro-organismes du microbiote dialoguent en permanence avec différents organes de notre corps, en sécrétant des molécules de communication diffusant dans l’ensemble de l’organisme. Ces microbiotes sont donc des sources très précieuses de molécules pouvant avoir un impact significatif sur le fonctionnement de nos organes. Nos microbiotes constituent ainsi une véritable «jungle» intérieure, possédant une gigantesque pharmacopée potentielle, et de nombreuses espèces de micro-organismes encore inconnues qu’il nous reste maintenant à découvrir et apprivoiser.

La science du microbiote reste un domaine jeune, porteur de beaucoup d’espoirs mais aussi de questions non résolues. Il est donc important que la communauté scientifique communique avec le grand public sur ce sujet pour l’expliquer et le démystifier et pour décrire ce que cette science émergente pourra amener à la médecine de demain.

David Ribet participera, samedi 14 octobre à 16h20, à la table ronde «Soigner demain avec les microbiotes».