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Climat Libé Tour

«Born in PPM» : «Mes photos sont un appel à agir»

La photographe Mary-Lou Mauricio poursuit sa série de portraits mettant en avant le taux de concentration en CO2 à l’Académie du Climat dimanche 31 mars. Par l’image, elle veut sensibiliser et interpeller sur la hausse de la concentration en carbone dans l’atmosphère.
La photographe Mary-Lou Mauricio, dimanche 31 mars, lors de la troisième journée du Climat Libé Tour à Paris. (Antoine de Raigniac / CFJ / Hans Lucas)
par Benjamin Moisset, étudiant journaliste au CFJ
publié le 31 mars 2024 à 18h46

Depuis ses débuts, le Climat Libé Tour, événement tourné vers la jeunesse, associe à chacune de ses étapes une école de journalistes locale (CFJ à Paris, ESJ à Lille ou Dunkerque, Ejcam à Marseille, Ijba à Bordeaux) afin que les étudiants couvrent, avec leurs regards, l’actualité des forums. Reportages, comptes rendus, portraits, photos et édition… Ces articles sont issus de leur travail.

«Je vous laisse mon bébé», lance Mary-Lou Mauricio, photographe, en prêtant son appareil à son équipe le temps de répondre aux questions de Libération. Ce 31 mars, au cours de l’étape parisienne du Climat Libé Tour, elle poursuit dans un studio éphémère sa série Born in PPM. Le concept ? Portraiturer qui veut, en inscrivant sur leur corps le taux de concentration en CO2 dans l’atmosphère l’année de leur naissance – le fameux PPM qui ne cesse d’augmenter.

D’où vous est venue l’idée de cette série Born in PPM ?

J’ai vécu un burn-out après des années à avoir été cadre dans de grandes entreprises – comme Cartier, Vuitton ou L’Oréal. À partir de ce moment, j’ai décidé de réaliser mon rêve de jeunesse, que je n’avais pas osé poursuivre : devenir photographe. Dans le même temps, j’ai découvert la fresque du climat. J’ai toujours été écolo et engagée mais je pensais que la responsabilité reposait seulement sur les Etats et les entreprises. Avec la fresque, j’ai compris que le dérèglement climatique nous concerne aussi directement. Et quand j’ai vu des militants, comme Greta Thunberg, parler de leur date de naissance en concentration de carbone, j’ai eu cette idée de prendre en photo les personnes avec leur PPM.

Quel message souhaitez-vous transmettre avec vos photographies ?

Je veux montrer l’évolution de la concentration en carbone avec les années. Je pense à Jacqueline, que j’ai photographiée et qui est née à 305 PPM, en 1925. Moi, je suis née à 340 PPM. Et récemment, j’ai portraituré un bébé, né en 2023, avec 421 PPM ! L’aggravation est claire. Il est important de comprendre que la limite planétaire a été dépassée en 1988 en atteignant les 350 PPM, et que l’emballement se situe à 450 PPM. Mes photographies sont un appel à un réveil collectif : actuellement, on est pied au plancher !

Après, je me suis aussi intéressée à l’injustice climatique. J’ai aimé photographier un réfugié du Ghana, car peu importe notre lieu de naissance, on vit tous au même niveau de concentration en carbone. Une fois que le CO2 part dans l’atmosphère, c’est le même pour tout le monde. Alors, nous les Occidentaux, on a encore plus de responsabilités. Nos émissions détruisent autant notre environnement que celui de ceux qui ne sont peut-être jamais montés dans une voiture par exemple. C’est une injustice énorme.

Vos portraits sont donc aussi l’occasion de sensibiliser ?

Bien sûr. Avant la prise de photos, j’explique ce que sont les PPM. Je ne vais pas prendre quelqu’un en photo s’il n’a pas compris. Ensuite, on prend un moment où les gens décident comment ils voudront se positionner. C’est une petite interview avant la photo pendant laquelle on demande ce que la personne ressent face au réchauffement climatique, et quel message, à travers sa posture pendant la séance, elle veut faire passer. Certains veulent dire stop et lèvent la main, d’autres montrent leurs muscles pour dire qu’ils sont déterminés. Alors, je personnalise le portrait en fonction. Je veux qu’avec mon travail chacun puisse passer son message. Par exemple, dans mon portrait, je voulais être battante et, d’ailleurs, je me suis tatoué mon PPM sur le bras.

Quelle photo vous a le plus marqué ?

Une photo de deux femmes enceintes. C’était la première fois que j’avais des femmes enceintes dans mon studio et j’attendais ce moment depuis longtemps. J’avais comme projet de mettre des points d’interrogation sur leur ventre, parce qu’elles ne savent pas à quel PPM leur enfant allait naître. C’est tout un symbole pour moi. À travers cette photo de femmes enceintes, on demande : «qu’est-ce que l’humanité va décider ?» Est-ce qu’on va continuer à émettre toujours plus, arriver à l’emballement, ne plus maîtriser ces PPM ? Ou est-ce que collectivement, on va faire le choix de réduire drastiquement les gaz à effets de serre pour permettre que l’humanité puisse continuer à vivre ? À mon avis, ce portrait de deux femmes enceintes est le visuel de clôture de la série – même si elle se poursuit – pour montrer qu’on a la solution entre nos mains.