L’hiver, elles débarquent toujours en bande dans les jardins. J’aime leur allure d’ourson duveteux et les trilles qui maintiennent la cohésion du groupe. Les mésanges à longue queue ne pèsent que huit grammes mais elles n’ont vraiment peur de rien ; pendant la tempête de décembre 1999 elles étaient les dernières à se promener dans les branches alors que nos toitures décollaient par milliers. Je me suis toujours dit que ces gangs d’une dizaine d’individus devaient être des fratries, des familles étendues. Une étude récente m’en apporte la confirmation, ainsi qu’une foule de détails passionnants sur la vie de ces héroïnes à plumes (1).
Depuis trente ans, dans une verte vallée proche de Sheffield au Royaume-Uni, des ornithologues étudient une population de quelques centaines de mésanges à longue queue. Chaque printemps, l’équipe repère leurs nids, d’élégantes structures oblongues construites en coussins de mousse agrégés avec des toiles d’araignées et saupoudrées de milliers de fragments de lichens. A l’intérieur, le confort des poussins est assuré par un lit de duvet. Les scientifiques baguent tous les oiseaux afin de pouvoir les reconnaître, et prélèvent une goutte de sang dont l’analyse révèle leurs liens de parenté.
En observant cette flopée hyperactive, mes collègues constatent que l’existence des mésanges à longue queue n’est pas si rose : la moitié des adultes ne finissent pas l’année et une grande partie des nids sont pillés par les petits carnivores et par d’autres oiseaux. On pourrait penser que les parents dévalisés de leurs œufs ou de leurs poussins patientent jusqu’à l’année suivante. Bien au contraire, un quart d’entre eux deviennent les assistants maternels de leurs voisins, en nourrissant leurs poussins, parfois aussi les femelles couveuses. Grâce à ce petit coup de pouce, les poussins issus de nids assistés ont plus de chance de survivre et de se reproduire l’année suivante.
Intriguée par cet altruisme, l’équipe de recherche a effectué une surveillance renforcée des assistants maternels : 80 % d’entre eux sont des mâles, qui la plupart du temps aident la nichée d’un de leurs propres frères. Cette assistance favorise ainsi, indirectement, la pérennité génétique des mâles en échec de reproduction car ils contribuent à la survie de leurs neveux et nièces. Ces individus mâles sont les principaux assistants, probablement car ils ont plus d’énergie disponible que leurs partenaires femelles. En effet, celles-ci ont récemment pondu huit à douze œufs pesant au total plus que leur propre corps. Elles ont aussi couvé pendant quinze jours sans l’aide des mâles.
Pour les scientifiques, trois éléments favorisent cet «effet tonton» chez les mésanges à longue queue. Tout d’abord, ces petits oiseaux nichent généralement dans un rayon de 500 mètres autour de leur lieu de naissance. Leur royaume est donc un village au sein duquel les fratries ne se dispersent que très peu. Les assistants maternels, qui opèrent généralement dans les 400 mètres autour de leur propre nid, n’ont donc aucun mal à rejoindre le nid d’un de leurs frères pour l’aider. Deuxièmement, comme j’ai pu l’observer dans mon jardin, les mésanges à longue queue passent les mois d’hiver en groupe familiaux, avec des fratries très soudées qui rejoignent ensemble la même zone de nidification au printemps. Finalement, les tailles de populations locales de mésanges à longue queue sont généralement très restreintes, et tout le monde se connaît au sein de leur petite nation.
Et pourtant, force est de constater que les assistants ne nourrissent pas que les poussins de leurs frangins, mais aussi certaines nichées avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté. Pour les auteurs de l’étude, il s’agit peut-être d’une erreur d’aiguillage ; les mésanges reconnaissent leurs proches à l’oreille, mais des tests montrent qu’elles se trompent occasionnellement. Je leur propose, néanmoins, une hypothèse alternative : au cours de la reproduction, la balance hormonale des oiseaux est modifiée, avec une forte incidence sur leur comportement. Pour moi, les mâles de mésanges à longue queue, saturés d’hormones qui les rendent hyperactifs, éprouvent une intense frustration en perdant leur nichée à cause des prédateurs. Ils passent alors leurs nerfs en nourrissant frénétiquement les habitants d’un des nids voisins. Fortuitement, ce nid contient souvent leurs neveux et nièces.
(1) [1] Morinay, J., et al. (2025). Ecological and demographic drivers of kin‐directed cooperation in a social bird : Insights from a long‐term study. Journal of Animal Ecology.