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Libération
Le Libé des géographes

Michel Bussi, très à l’Eure

Le géographe, auteur de romans policiers à succès, s’attache à explorer les liens entre histoire et géo, avec sa Normandie comme territoire de prédilection.

(Aurel/Liberation)
Publié le 03/10/2025 à 10h34, mis à jour le 03/10/2025 à 15h35

Conférences, débats, littérature, spectacles… Les 3, 4 et 5 octobre 2025, le festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges aura pour fil rouge le pouvoir. Avec l’Indonésie comme pays invité d’honneur.

De nos cours de géographie du lycée, on a retrouvé des classeurs remplis de cartes de France lors d’un déménagement récent. Celles qu’il fallait dessiner avant de réciter les noms des villes et des fleuves. Michel Bussi regrette cette méthode qu’il juge être «aux antipodes» de ce que cette science représente pour lui. Il ne faut pas séparer les agglomérations des campagnes ou des «non-lieux». Et encore moins «apprendre par cœur les choses». Sans doute parce que la réalité est bien plus complexe. Pour ce géographe de 60 ans devenu auteur de romans policiers à succès, «tout fait système». Tout devient un ensemble à étudier depuis qu’il s’est passionné pour cette discipline, avec sa Normandie comme territoire de prédilection.

Nous sommes dans les années 80 et Michel Bussi rentre à la fac. Noyé, comme tous ceux de sa «génération» dans cet afflux «massif» d’étudiants. Devenir prof ne faisait aucun doute. Il suit le cursus de géographie à l’université de Rouen-Normandie après s’être questionné sur la matière à étudier. La littérature ou l’histoire-géographie ? La première revient à transmettre une «intimité» ; la seconde «à former des citoyens et à parler du monde». Il tranche. «Jaime lidée que je peux à la fois mintéresser à mon canton, à la création dune ville à deux kilomètres de chez moi et aux problèmes mondiaux. Cest une discipline du terrain.»

«Plutôt sympa»

Le voilà, plus de dix ans plus tard, devant ce même amphi. Devenu maître de conférences, après une thèse en géographie électorale, il enseigne dès sa première année le génocide des Tutsis au Rwanda – sujet de son dernier roman, les Ombres du monde (éd. Presses de la cité) et sélectionné pour le prix Renaudot. Il se passionne alors pour les enjeux «politiques, linguistiques et religieux», «c’était mon TD préféré». Il est touché par ces étudiants ébranlés «à mesure quils découvraient lampleur du génocide, et démêlaient les causes plurielles», écrit-il dans la postface de son livre. Ces regards, à jamais gravés, il les regrettera lorsqu’il quittera l’enseignement en 2016, avec la direction de l’unité mixte de recherche CNRS à Rouen. «Ne plus être sur leur trajectoire me manque.»

Autre chose dont il est certain : les géographes sont «obligés d’écouter, de se confronter et de travailler en réseau» pour ne pas disparaître. Car la géographie est une discipline «tout sauf snob». Une humilité sur laquelle il reviendra plusieurs fois. «Les géographes sont des gens plutôt sympas avec qui il est agréable de boire un verre», sourit-il. Jolie ressemblance avec le moment «plutôt sympa» que l’on partage avec lui dans un café place du Châtelet, à Paris.

Quand on le questionne sur sa vie privée, il ne dira pas grand-chose, excepté qu’il lit un livre par semaine, voire un tous les quinze jours. En ce moment, ce sont les Promesses orphelines de Gilles Marchand. Enfant, c’était Agatha Christie, Jules Vernes ou encore Jack London pour «les voyages». Quand il écrit dans le train, il écoute de la folk anglaise – «des playlists de trucs inconnus». Pas du rock, ça le déconcentre. Même constat pour la variété française. Et il faut lire la presse pour apprendre que son père est décédé quand il avait 10 ans. Il a grandi avec deux sœurs et une mère institutrice, près de Rouen.

Paysage réel ou fantasmé

C’est vrai qu’il s’est toujours reconnu dans la Normandie, ce territoire au patrimoine «énorme»,«abbaye et raffinerie», «Victor Hugo et le port du Havre» se mélangent. Et cela se ressent dès Code Lupin, son premier roman (2006), qui revient sur les lieux traversés par le gentleman voleur imaginé par Maurice Leblanc. Puis, en 2011, dans Nymphéas noirs dont l’idée lui est venue en encadrant une thèse de recherche sur les différents modes de protection de Giverny. «Il faut situer lhistoire : cest là que le géographe intervient pour traiter le lieu un peu différemment, peut-être de manière plus originale. La Normandie a plusieurs facettes comme mes personnages, cest un vrai lieu complexe.» Il ajoute : «Lintérêt, cest dessayer davoir toutes les représentations possibles du territoire» et d’en apporter une analyse. Cela peut passer par des descriptions, d’un paysage réel ou fantasmé.

Il dit regretter que la géographie soit, pour certains, contemplative et faite de «certitudes». Cette science doit interroger nos «interactions» et notre société qui «bouge de plus en plus vite». Dans Nymphéas noirs, Michel Bussi n’a pas essayé d’établir une vérité mais d’en créer une nouvelle en invoquant nos sens. «Le paysage peint par Monet nexiste pas.» Travaillant en plein air, le peintre fige l’éphémère avant que les nénuphars ne disparaissent et que le soleil cesse de frapper l’eau. Il n’y a aucune certitude sur ce que l’on vient de voir, tout bouge. Sauf Michel Bussi qui ne quitte pas sa Normandie.