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Les journées du vivant et de la Terre: tribune

Microbiote et santé : des espoirs pas assez réglementés

Naturellement ! Les journées du vivant et de la Terredossier
Les microbiotes actuellement commercialisés peuvent durablement altérer le lien humain-microbiote. De même pour les plantes. Au risque de discréditer des recherches prometteuses.
Lem icrobiote fait écran aux microbes pathogènes et stimule le fonctionnement du système immunitaire, chez l’homme comme chez la plante. (Artur Plawgo/Getty Images)
par Marc-André Selosse, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle et Joël Doré, directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche en Agriculture
publié le 12 octobre 2023 à 21h07
Conférences et débats, rencontres avec des biologistes, anthropologues, agriculteurs, écrivains… Du 13 au 15 octobre à Rouen, la fédération Biogée organise les journées «Naturellement !» Thématique de cette deuxième édition : les microbiotes, indispensables microbes pour la santé et l’environnement.

Les microbes ne sont pas tous des agents de maladie ! Nous les avons découverts hier en nous demandant pourquoi nous étions malades, nous les découvrons aujourd’hui en étudiant ce qui fait la bonne santé des plantes et des animaux… dont l’homme. Le microbiote (l’ensemble des microbes, champignons et bactéries peuplant l’organisme) contribue à toutes les fonctions des organismes. Il aide l’intestin à digérer et les racines des plantes à exploiter le sol. Il fait écran aux microbes pathogènes et stimule le fonctionnement du système immunitaire, chez l’homme comme chez la plante. Il contribue à toutes les fonctions, comme le développement du système nerveux de l’enfant et le comportement de l’adulte, ou la date de floraison et la forme des plantes !

Tout cela soulève des espoirs considérables et concrets face à des problèmes cruciaux. Des maladies modernes augmentent de façon incontrôlée : maladies du métabolisme (obésité, diabète), du système immunitaire (asthme, allergies, maladies auto-immunes) ou désordres neuropsychiatriques (dépression, autisme, Alzheimer) – elles touchent presque 25% des Occidentaux. Ces maladies sont en partie liées à un microbiote appauvri par une hygiène excessive et des agressions chimiques. Certains additifs alimentaires (édulcorants, émulsifiants) sont par exemple source d’états inflammatoires ou directement délétères pour notre microbiote intestinal, et peuvent ainsi durablement altérer le lien humain-microbiote. Pour les plantes, les pesticides affectent les microbiotes des feuilles et des fruits, ce qui diminue leurs effets de défense et d’atténuation des stress ; les engrais minéraux conduisent les plantes cultivées à abandonner leur lien à des champignons auxiliaires du sol qui les nourrissent et les protègent depuis des millions d’années. Appauvri, le microbiote des végétaux les rend dépendants d’intrants qui pèsent sur l’environnement et sur notre santé.

Des microbes à inoculer fleurissent dans le commerce

Si l’hygiène et l’agriculture conventionnelle ont des effets positifs, elles engendrent aussi, en ignorant les microbiotes, des problèmes et un affaiblissement des organismes. Nous avons trop raisonné «organisme» et «individu» sans voir leurs écosystèmes microbiens intérieurs. La présence microbienne est une composante normale qui doit être préservée. En la prenant en compte, nous corrigerons les troubles en agissant sur les microbiotes et, par eux, sur l’organisme qui les héberge. De fait, des microbes à inoculer fleurissent actuellement dans le commerce. Pour les plantes, on vend des champignons auxiliaires à libérer dans le sol ou des bactéries protectrices à pulvériser sur les feuilles. Pour l’homme, la parapharmacie offre des microbes à avaler, les fameux «probiotiques». Mais il ne faudrait pas que, élevés au rang de solutions, les microbes soient mal utilisés et deviennent source de problèmes. Deux aspects nous inquiètent.

D’abord, quelles sont les potentialités exactes de ces microbes inoculables ? On manque souvent de recul sur les produits commercialisés, on a peu de recommandations d’application du traitement ou d’indication de leurs effets secondaires éventuels. Or, tous les gestes peuvent avoir des effets négatifs, même marginaux. Une solution microbienne n’est pas toujours valable pour tous les individus ou pour toutes les plantes : les consignes d’application doivent être précises…

Ensuite, quelle est la traçabilité de ces microbes inoculables ? D’où viennent-ils ? En agriculture, beaucoup de champignons auxiliaires proposés à la vente sont asiatiques ou américains : doit-on vraiment les libérer dans nos sols, auprès de plantes avec lesquelles ils n’ont pas évolué ? Le risque, outre une efficacité réduite, est celui d’invasions biologiques aux conséquences difficiles à évaluer.

Nous proposons trois pistes pour qu’à l’avenir, les microbiotes soient mieux valorisés. La première est de penser biodiversité locale pour éviter des transferts hasardeux. En santé humaine, cela veut dire bien nourrir le microbiote autochtone existant en nous par des choix alimentaires appropriés, notamment plus riches en fibres végétales et moins riches en aliments ultratransformés. Pour les plantes, cela passe par une amplification des microbes associés aux racines du champ lui-même : ce qui se fera en semant des plantes entre deux cultures, qui nourrissent ces microbes en hiver, en évitant le labour qui les tue, voire en les multipliant ex situ avant de les ramener sur leur site (des start-up développent actuellement de telles méthodes).

La deuxième piste est de réglementer le contenu des notices techniques et de créer des autorisations de mise sur le marché. Les auxiliaires microbiens ne peuvent échapper à la réglementation qui pèse sur les médicaments en pharmacie, ou sur les agents de biocontrôle en agriculture. Cela permettrait l’éviction de certains microbes inacceptables par leurs effets secondaires. Or, la recherche évaluant les effets est en panne, faute d’une vision intégrant assez les microbiotes. Les agences sanitaires comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) n’ont pas développé la validation des effets «microbiote», car elles ne regardent que les effets sur l’organisme hôte, sans intégrer la relation hôte-microbes. En l’absence de telles validations, le citoyen, agriculteur ou patient est laissé à ses propres essais et à une prise de risque solitaire.

De la fourche à la fourchette

La troisième piste est donc de pousser la recherche, y compris appliquée et privée, pour mettre en œuvre sainement les leviers puissants des microbiotes. Une concertation internationale sur les microbiotes, à travers toute la chaîne alimentaire et sanitaire, de la fourche à la fourchette, est essentielle.

Notre crainte est que quelques produits maladroits ou sans effet ne discréditent les espoirs soulevés par les microbiotes. Le consommateur pourrait se décourager et se détourner de perspectives par ailleurs prometteuses. A l’heure de la sixième grande extinction planétaire, la régression de la biodiversité des microbiotes est sans doute l’endroit où les extinctions nous affectent le plus : ne ruinons pas les espoirs pour lesquels nous-mêmes, dans nos recherches, nous travaillons.