Chaque être humain est un écosystème. Vous et moi vivons en symbiose avec nos microbes, les quantités astronomiques de bactéries, de levures et de virus que nous hébergeons et sans lesquels nous ne pourrions pas vivre, ou très mal. Ces micro-organismes qui vivent sur nous, en nous et avec nous, partout et tout le temps, constituent nos microbiotes. Car oui, nous en avons plusieurs. Le microbiote cutané, sur la peau et le cuir chevelu, se nourrit de sébum et de cellules mortes et diffère selon que l’endroit est plus ou moins moite. D’autres microbiotes se logent dans toutes nos cavités : oreilles, bouche, nez, poumons, mais aussi vagin, où il crée une acidité locale qui repousse les pathogènes. Il y en aurait même dans le sang, les muscles, le foie, voire le cerveau.
Mais c’est le microbiote intestinal, popularisé par le best-seller de la gastro-entérologue allemande Giulia Enders, le Charme discret de l’intestin (1), qui est de loin le plus important et le plus étudié. «Avec plus de 4 000 espèces connues au total (près d’un demi-millier dans chaque individu), c’est 1 à 1,5 kilo de bactéries et de levures par personne qui [y] sont logées, chauffées et nourries par nous», écrit Marc-André Selosse, biologiste et professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), organisateur de «Naturellement, les journées du vivant et de la Terre» qui se tient ce week-end à Rouen (et dont Libération est partenaire) dans son livre Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations (2).
«Nous ne sommes que les hôtes de cette foule invisible et colossale»
Notre corps contient «autant de bactéries que de cellules humaines», explique également Sébastien Duperron, chercheur en écotoxicologie microbienne et professeur au MNHN dans son ouvrage les Symbioses microbiennes (3). «Mais 99,9 % de ces bactéries sont dans notre tube digestif, car c’est là qu’elles trouvent le plus à manger.» Une centaine de bactéries se nichent aussi au sein même de chacune de nos cellules, dont elles sont devenues des composants : ce sont les mitochondries, sans lesquelles nous ne pourrions pas respirer. «Nous ne sommes que les hôtes de cette foule invisible et colossale à l’échelle microscopique, une foule qui nous rend des services immenses et insoupçonnés, rappelle la bande dessinée Voyage au centre du microbiote (Fäst et Chochois, Delcourt-Inserm, 2022). Et quand chacun de nous dit “je”, il devrait en réalité dire “nous” !»
C’est à la naissance que nous acquérons l’essentiel de nos microbes. Selon que nous naissons par voie basse ou par césarienne, nous ne sommes pas colonisés par les mêmes. Bambins, notre microbiote recrute de nouveaux éléments au fil des objets que nous portons à la bouche, de ce que nous mangeons, des caresses que nous recevons. Il se stabilise vers trois ans et subit parfois des perturbations majeures, par exemple quand nous prenons des antibiotiques. Son rôle est clé pour notre santé physique et mentale.«Digestion, nutrition, immunité, mais aussi développement, comportement voire sociabilité… Il n’y a pas de fonction dans notre organisme qui ne soit influencée par notre microbiote», affirme Marc-André Selosse. La liste des découvertes récentes est impressionnante. Le microbiote accélère par exemple la cicatrisation de la peau.
Las, nous le malmenons, nous l’appauvrissons, en aseptisant trop notre nourriture, nos corps, nos bâtiments. Favorisant ainsi ce que le biologiste appelle les «maladies de la modernité» : maladies du métabolisme (diabète, obésité…), du système immunitaire (asthme, allergies…) et celles du comportement et du système nerveux (autisme, Parkinson, Alzheimer…). «Le microbiote des malades est souvent moins diversifié que celui des personnes bien portantes», indique Marc-André Selosse.
«Une industrie qui brasse des milliards de dollars»
Vive, donc, le fromage au lait cru, les kéfirs de lait et de fruits, les yaourts, la choucroute ou le brocoli, qui chouchoutent le microbiote. Et exit la malbouffe, les édulcorants et conservateurs qui le lèsent. «Une modification du microbiote du fait d’une mauvaise alimentation, riche en graisses et sucres, peut générer au minimum une dépression», rapporte Gabriel Perlemuter, chef du service hépato-gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, dans son livre Stress, hypersensibilité, dépression… Et si la solution venait de nos bactéries ? (5). Car nos micro-organismes produisent une énorme diversité de molécules qui nous influencent. Notamment la sérotonine, une hormone qui régule notre humeur.
Sommes-nous manipulés par nos microbes ? Une étude, menée par des chercheurs de l’université de Californie, a montré que les femmes chez qui les bactéries Prevotella sont abondantes sont plus émotives et sensibles que les autres. Et pourquoi pas, alors, tenter de jouer sur notre microbiote ? «Nous pouvons nous changer en le changeant. Comprendre comment reconstruire ou transformer un microbiome figure donc parmi les défis scientifiques de demain», expose Eric Bapteste, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la biologie évolutive, dans Tous entrelacés ! (6). Déjà, l’étude du microbiome est devenue «une industrie qui brasse des milliards de dollars», dit-il. Traitements probiotiques et transplantations fécales (si, si) se multiplient. Une chose est sûre : dans tous les écosystèmes, dans nos corps comme dans la nature, «la vie a besoin de diversité pour s’épanouir, peut-on lire dans Voyage au centre du microbiote. Il est plus que temps de la laisser s’exprimer».
(1) Ed. Actes Sud, 2015 réédité en 2020, 21,80 €.
(2) Ed. Actes Sud, 2017, 9,30 €.
(3) Ed. ISTE, 2017, 32 €.
(4) Fäst et Héloïse Chochois, Ed. Delcourt-Inserm, 2022, 19,90 €.
(5) Ed. Flammarion, 2020, 19 €.
(6) Ed. Belin, 2018, 20 €.