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Momoko Seto, semeuse d’étoiles

Quelle culture pour quel futur ?dossier
La réalisatrice au CNRS confectionne des vidéos expérimentales, qu’elle présentera au forum biodiversité du centre Pompidou, où elle explore aussi bien l’immensité du cosmos que le monde des insectes ou la vie et mort d’une moisissure.
Avec «Planet Z», Momoko Seto change de protagoniste pour suivre le développement des moisissures. (Miyu Productions, Ecce Films)
publié le 21 novembre 2024 à 22h30
(mis à jour le 22 novembre 2024 à 8h21)

Tous les cosmonautes ne portent pas de combinaison spatiale. Momoko Seto ne s’en est en tout cas pas encombrée pour naviguer d’une planète à l’autre, depuis une vingtaine d’années qu’elle arpente des univers aussi fantastiques qu’ils sont réels, recréant en version agrandie, rétrécie, ralentie ou accélérée des fragments du monde que nous avons sous les yeux. Ces univers, ce sont ceux de ses films : Planet A (2008), Planet Z (2011) ou encore Planet Σ (2014) – elle présentera ce dernier le samedi 23 novembre au forum biodiversité du centre Pompidou. Dans le premier, alors étudiante tout fraîchement arrivée du Japon, elle utilise le timelapse, une technique consistant à prendre des photos avec un long intervalle de temps, pour raconter une «histoire de science-fiction» dont les héros sont des cristaux de sel, que l’on voit gonfler et se développer. Avec Planet Z, elle change de protagoniste pour suivre le développement des moisissures. Planet Σ est une petite révolution dans son cosmos, puisqu’elle y introduit des insectes et qu’au lieu du timelapse, qui compresse le temps, elle les filme en slow motion, qui le dilate. «Mes temporalités ne sont jamais les bonnes», pouffe-t-elle, avant de se corriger très vite : «Enfin, pas pour les humains.»

Quatre graines engouffrées dans un trou noir

C’est sa découverte du cinéma expérimental au Fresnoy, à Tourcoing, qui lui inspire un grand principe : il faut sans cesse trouver de nouvelles choses à filmer, générer de nouvelles images et de nouveaux sons en s’appuyant s’il le faut sur les nouvelles technologies. «Je me pose la question : qu’est-ce que cette création apporte de nouveau dans le monde, à l’heure où nous sommes déjà submergés de productions ?» développe-t-elle. A chaque époque sa nouveauté : il y a vingt ans, être pionnière c’était «faire des films qui peuvent sembler scientifiques, avec des timelapses de plantes qui poussent, mais dans un contexte de science-fiction». La nouveauté contemporaine, elle la travaille dans son prochain film, qui sera son premier long métrage, Planètes (prévu pour 2026). Il s’agit cette fois de faire glisser le protagoniste pour suivre l’aventure de quatre graines de pissenlit échappées de Terre, engouffrées dans un trou noir, et à la recherche d’un nouveau sol où s’implanter. En somme, «on devient graine et on vit une aventure de graine tout au long du film, mais avec des images réelles». Etre réalisatrice au CNRS présente un avantage, celui d’être au fait de la recherche scientifique : Momoko Seto navigue entre les travaux d’entomologues et de botanistes, si bien que son long métrage pourrait être vu comme une des premières tentatives de faire de la fiction écologique à hauteur de vivant non humain.

Faiseuse de mondes intergalactiques

Les moyens du projet sont aussi à la hauteur de son ambition : toutes proportions gardées, Planètes est une sorte de mini-Megalopolis de Coppola, si les vedettes hollywoodiennes étaient des insectes. Le tournage s’est joué entre un château de Bourgogne, où l’équipe a rempli les serres de caméras et de bras robotiques, un centre du CNRS proche de Nice où elle est allée filmer du plancton et une femelle oursin (dans le rôle d’une faiseuse de mondes intergalactiques, il y avait de quoi être exigeant au casting), puis à Roscoff pour y chercher des anémones des mers (devenues interstellaires elles aussi), avec un crochet en Islande avant de filer au Japon pour y filmer les 700 variétés de mousses de l’île de Yakushima pendant deux mois. Le tout, bien entendu, en ayant une peur bleue des insectes – «quand il y en a un dans la pièce que je n’ai pas repéré parce qu’il s’est échappé du tournage, je ne peux pas m’empêcher de hurler !» précise Momoko Seto. Le tournage lui aura permis de s’attacher à ce petit monde : on imagine que des liens se nouent inévitablement après deux semaines passées à «diriger l’acting» d’une sauterelle pour que celle-ci grimpe le long d’une tige, s’arrête et tourne la tête vers la caméra sans paraître surjouer son rôle.

En guise de voix off, Momoko Seto a remis le soin de la musique à Nicolas Becker (dont les thèmes meublaient le silence spatial de Gravity), qui, lorsqu’elle l’a appelé, était précisément occupé à enregistrer le son de la moisissure – ça ne s’invente pas.

Et dans quelques années? Peut-être dans l’ébauche d’un nouveau projet : une remise en question des relations humaines en s’inspirant des relations, reproductives ou sociales, qu’entretiennent les plantes - « qui sont bien plus à l’avant-garde que les animaux ». Une exploration qu’elle compare à celle des premiers anthropologues, qui observaient leur société à l’aune des tribus qu’ils étudiaient en Afrique : « aujourd’hui, c’est en découvrant le monde des animaux et des plantes qu’on peut proposer de nouveaux prismes pour analyser notre société ».