Informer, débattre et envisager des solutions au plus près des réalités et des enjeux. Rendez-vous le samedi 16 décembre à la Friche la Belle de Mai, à Marseille (Entrée libre sur inscription dans la limite des places disponibles), pour la sixième et dernière étape de l’année 2023 du «Climat Libé Tour».
Epluchures Beach. Ainsi s’appelle l’une des 21 plages de Marseille. D’abord local, le nom a été adopté par Wikipédia et est reconnu par Google Maps et les sites de météo marine, même si l’appellation officielle reste, sur les panneaux, «la plage de l’Huveaune». C’est là que le petit fleuve du même nom se jette dans la Méditerranée et avec lui les détritus qu’il charrie depuis l’est de la ville. Soit des «déchets abandonnés diffus», le terme scientifique pour dire canettes, emballages et autres bouts de plastique qui surnagent. On se souvient des images spectaculaires d’octobre 2021 où une grève des éboueurs combinée à un gros coup de mistral avait transformé les plages de Marseille en décharges à ciel ouvert.
En ce matin de novembre ensoleillé, cette année, sur Epluchures Beach, un rendez-vous de Clean my Calanques a attiré deux bonnes dizaines de bénévoles, pour un petit nettoyage d’automne. Eric Akopian, président et cofondateur de l’association, introduit modestement l’opération dépollution du jour – «On ne va pas sauver la planète ce matin, mais on va faire au mieux pour notre ville» –, et donne les consignes aux ramasseurs : «Faites attention aux seringues, mettez les mégots dans des gobelets, car ça se recycle.»
Beaucoup plus de mégots que de coquillages
L’association créée en 2017 revendique 133 opérations et plus de 65 000 kg de déchets collectés en six ans d’existence. Le ramassage citoyen est à Marseille un véritable sport national avec des dizaines de structures qui proposent très régulièrement de faire le ménage des plages, avec toujours plus ou moins les mêmes rituels : briefing sur la durée de vie des déchets, enceinte portable pour l’ambiance et concours de la trouvaille insolite du jour.
Mais l’heure est à la distribution du matériel : des pinces, des gants et de grands sacs en jute de lin «très pratiques, qui ont été conçus par des étudiants en mode, avec une petite poche pour le gobelet à mégots», explique Eric fièrement. Même si comme de plus en plus de littoraux français, les plages de Marseille sont désormais des «zones sans tabac» (sous peine d’une amende de 68 euros), on y trouve quand même beaucoup plus de mégots que de coquillages.
La troupe se disperse et les habitués ont tôt fait de rejoindre la digue, qui abrite dans les rochers la grosse masse des déchets les plus divers. Car si le nettoyage des rues est du ressort de la Métropole, celui des plages de la mairie, celui des digues construites du port – oui, ce n’est pas simple les différentes compétences à Marseille – la propreté des rochers n’est sous la responsabilité de personne. Des bouteilles en plastique, des canettes, des pailles en pagaille, des emballages de bonbons s’y entassent donc allègrement… Tiens une casquette, des tongs, des filets de pêche entortillés… une vraie mine pour les ramasseurs du jour. Et un motif de désolation pour l’adjointe à la propreté de la mairie, Christine Juste (Printemps marseillais), à propos des digues orphelines : «On a récupéré depuis un an le nettoyage des plages, qui était effectué auparavant par les services de la Métropole. On peut mieux gérer et faire durer la haute saison, soit un rythme plus intense pour l’entretien en fonction des baigneurs. Mais les rochers, c’est plus compliqué. Ça tombe dans un trou de compétences. Comme tout le littoral sauvage.»
«On finit par en vouloir à l’humanité tout entière»
Un littoral que Sylvie, la soixantaine, arpente consciencieusement, pince à la main ce matin-là, tout en prodiguant ses conseils aux nouveaux venus : «Il ne faut pas faire ça plus d’une heure, car on finit par en vouloir à l’humanité tout entière», analyse-t-elle. Lauren, la vingtaine, habituée des opérations de Clean my Calanques, en veut, elle, avant même de ramasser son premier déchet du jour, déjà à toute l’humanité : «On a fait 400 kilos d’ordures, dimanche dernier, sur la plage de la Vieille-Chapelle», soupire-t-elle, résignée mais encore dans l’énergie, fut-elle du désespoir.
Plus loin, c’est un beau bout de cannabis qui est trouvé dans le sable, bien conservé dans un petit cône de plastique. Et aussi, la première seringue de la matinée. Là, c’est une paire de baskets avec des étoiles, qui traîne parmi les algues… mais surtout, surtout, des bouts de plastique à l’origine incertaine. Il est partout. «Sur la plage, c’est 5 % seulement de ce qui est dans la mer», assure pourtant Eric aux bénévoles revenus au point de rassemblement vider leurs sacs. Car c’est l’heure du tri. Et du vainqueur de l’objet insolite du jour. En lice : une botte d’enfant, un tapis de yoga, une pochette siglée Air France et le shit donc. Pour lequel personne ne vote, tant il est fréquent d’en trouver, assurent les habitués des opérations de dépollution.
Celle du jour avait pour partenaire les créateurs du site Sporting Good, qui propose à l’achat des invendus de marque de sport, «par souci d’éviter le gaspillage, dans un secteur qui renouvelle beaucoup ses modèles», indique Oscar à l’assemblée. Clean my Calanques s’associe en effet régulièrement à des entreprises pour ses opérations, tout en assurant «ne pas tomber dans le greenwashing» : «On les mentionne mais on ne fait pas de publicité», clarifie Eric Akopian. Ce jour-là, Sporting Good a payé les pizzas livrées sur la plage à la fin du ramassage.
Top ten des marques, Heineken en tête
Au-delà du concours qui a vu le tapis de yoga l’emporter haut la main et du ramassage des détritus, le tri, le comptage et la caractérisation de ces «déchets abandonnés diffus» sont la grande affaire de ces opérations dépollution. A la tête de l’association MerTerre, Isabelle Poitou, biologiste de formation, tente de fédérer les initiatives et surtout de quantifier les déchets trouvés. Elle dirige de son côté l’opération Calanques propres (qui va de Carry-le-Rouet à Cassis en passant bien sûr par Marseille), où toutes les associations nettoient, le même jour, le littoral des Bouches-du-Rhône et comptent la moindre bouteille, canette ou mégot. «Il y a ceux qui jettent, et il y a ceux qui ramassent, déplore-t-elle, fataliste. Mais dès qu’on met les mains dedans, on a des résultats très vite !» Et à Epluchures Beach ce matin-là, on a retrouvé exactement les mêmes déchets que ceux du recensement annuel publié dans la base de données ReMed qu’elle a créée. Beaucoup de plastique et tous les emballages de son top ten des marques, Heineken en tête.
Une évaluation que compte bien mettre à profit la mairie, qui veut même passer à la vitesse supérieure. Christine Juste envisage de lancer début 2024 un appel à projets pour toutes les associations en leur proposant «d’adopter» un bout de littoral, orphelin comme les rochers de l’Huveaune, et d’en assurer l’entretien. A la clé, un possible financement via la Métropole de Citéo, l’organisme créé par les industriels pour recycler et limiter leur impact écologique, qui pourrait atteindre 4 euros par habitant. Une belle somme à l’échelle de Marseille qui n’en compte pas loin de 900 000. Et 57 kilomètres de littoral à entretenir.