A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les initiatives qui font bouger les politiques urbaines.
«Future proof», à l’épreuve du temps. Le mot est apparu sur des affiches au Marché international des professionnels de l’immobilier, le Mipim, en 2023 (1). Le mot intrigue. Quelle est donc cette réalité dont on nous promet qu’elle résistera à un futur fatalement menaçant ? Et quel est ce futur dont il faudrait se protéger ? Se mettre à l’abri du futur, est-ce le seul moyen de penser l’agir urbain en ces temps incertains ?
D’autres récits, d’autres futurs sont peut-être possibles. Quelques semaines après le Mipim et son avenir future proof, une autre exposition proposait aussi de réfléchir aux villes de demain. A la Biennale d’architecture de Venise de 2023, il ne s’agissait plus de penser une architecture futuriste, mais de se demander si cette dernière avait encore un avenir. Trois pavillons questionnèrent le sens de cette pratique, proposant autant de futurs possibles pour agir sur nos territoires.
Le pavillon autrichien ne parlait que de Venise. En amont de la Biennale, le collectif AKT et l’architecte Hermann Czech avaient récolté des récits d’habitants pour comprendre les impacts de cet événement où 200 000 visiteurs se pressent chaque année dans une ville qui compte quatre fois moins de résidents permanents. De ces histoires, ils avaient tiré un projet de pont qui serait parti du pavillon autrichien pour relier les quartiers voisins. Le projet a été refusé pour des questions de sécurité et le pont a été à moitié construit. Le dispositif était d’une efficacité redoutable pour montrer comment l’espace met à distance et dans quelle mesure l’architecture peut être un geste de réparation de l’existant. Dans un monde abîmé, n’est-ce pas le sens possible de cette pratique ?
Un peu plus loin, le pavillon allemand, qui n’a pas été construit en 2023. A la place, le collectif recruté par le ministère du Logement, qui était cette année-là commissaire pour l’Allemagne, a décidé de déconstruire le pavillon de la Biennale d’art de 2022. En bleu de travail, armés de perceuses, une myriade d’enseignants et d’étudiants démontèrent méthodiquement le pavillon construit l’année précédente, avant de classer les matériaux récupérés, créant une banque de matériaux prêts pour un réemploi éventuel. Le futur de l’architecture et de l’urbanisme est peut-être celui-ci : faire avec l’existant, aider à organiser ce qui est déjà là et prendre soin de ce qui va, se départir de la nouveauté perpétuelle.
Entre les deux, le pavillon polonais, merveille abstraite composée d’une série de structures géométriques produites par la projection en trois dimensions d’une centaine de jeux de données, proposait un futur radicalement opposé pour l’architecture : informationnel, entièrement produit par des analyses, sans lien avec le site et le lieu.
Le Mipim et la Biennale de Venise sont des lieux d’élaboration de grands récits de nos futurs territoriaux. Des lieux de spectacle et de mise en scène de ces récits qui nous permettent d’envisager différent modes d’agir. Le repli comme réponse à l’attente d’un futur catastrophé ou la mise sous cloche du présent pour éviter le risque de l’avenir sont une réponse, mais il y en a d’autres. Ensemble, ainsi figurés, ces récits nous montrent, comme le disait l’auteur de science-fiction William Gibson, que le futur est déjà là, mais qu’il est inégalement distribué. A nous de le faire advenir.
(1) Au marché des métropoles : enquête sur le pouvoir urbain de la finance d’Antoine Guironnet, éd. les Etaques, 2022.