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Libération
Au cœur de la bioéthique

«Nos sociétés valorisent cette croyance qu’on a quelque chose d’important en nous-mêmes»

Le professeur de sociologie Nicolas Marquis s’intéresse aux pratiques de coaching et aux discours sur le bien-être et l’épanouissement personnel.
Les anthropologues ont montré que face au malheur, on a la réaction de se demander : «qui m’en veut», et de se poser la question : «pour quelle raison l’arbre est-il tombé sur moi ?». (Klaus Vedfelt/Getty Images)
publié le 10 janvier 2025 à 5h00

S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.

Nicolas Marquis, professeur de sociologie à l’Institut catholique Louvain, Saint-Louis Bruxelles, s’intéresse aux problématiques de santé mentale. Il participera le 31 janvier à 16 heures au débat «Le bien-être en question».

«J’observe les pratiques et les discours de coaching liés au bien-être comme on pourrait regarder des pratiques de sorcellerie. Pourquoi cela marche-t-il ? Est-ce que travaillez sur soi-même produit réellement des effets. Le documentaire Kaizen, qui retrace l’ascension himalayenne du youtubeur Inoxtag, pourquoi cela nous parle-t-il ? Cela correspond à un état moral individualiste, qui valorise l’autonomie individuelle. On ne transige pas avec nos potentiels et il est de notre responsabilité de réaliser des performances. Ces pratiques connaissent un succès important, moins en raison de leur efficacité, qu’en ce qu’elles nous permettent de mettre en musique cette croyance qu’on a quelque chose d’important en nous-mêmes.

« Ces techniques de bien-être sont des instruments de distinction. Toutes les sociétés disposent de ressources pour donner du sens à ce qui nous arrive. Cela permet au passage d’expliquer l’origine du malheur, en répondant à cette question : “pourquoi cela tombe sur moi ?” Le fonctionnement classique des attitudes face au malheur, c’est qu’on a plutôt tendance à avoir une attitude projective, de loger à l’extérieur de nous-mêmes les raisons du malheur qui s’abattent sur nous. Les anthropologues ont montré que face au malheur, on a la réaction de se demander : “qui m’en veut”, et de se poser la question : “pour quelle raison l’arbre est-il tombé sur moi ?”

«L’attitude qui est désormais socialement valorisée consiste à se demander : “qu’est-ce que je peux faire pour m’en sortir et non qui m’en veut ?” On s’attachera donc à ce qui permet de déplacer le problème en cultivant son “potentiel intérieur”. Il devient de notre responsabilité de travailler sur nous-mêmes. Cette dynamique permet de faire émerger des victimes plus «sympathiques» que d’autres et de ne pas mettre en avant celles qui se plaignent. D’où le succès d’un concept comme la résilience, qui fait de vous la personne que vous êtes : l’attitude que vous avez est une attitude de prise en main. »