Nous sommes «Un» (1). Une longue entreprise coloniale collective tente de nous séparer et de nous rendre vulnérables dans notre unicité et pourtant, nous sommes «Un» et nous sommes fort·es.
Je me souviens quand nous étions les arbres, les forêts, le bruit de l’eau, du torrent. Tu étais une seule goutte de cette masse d’eau et, cumulées, on formait le torrent. A présent, les gouttes se sont évaporées. Tu te souviens de ce que nous étions ? Rappelle-toi ! Nous n’étions pas de glace. Notre seul moteur était le cœur qui palpite à l’idée même de vivre et que ce sang glisse dans nos milliards de veines, nous étions si fort·es, pas pour se battre mais pour s’aimer et s’écouter. Nous vibrions. Tu te souviens quand nous avions juste 4 000 ans, après ton petit-déjeuner, on partait rouler sur les montagnes se laisser glisser comme de lourdes pierres qui respirent et qui pensent.
Arrête de faire comme si tu ne te souvenais pas ! Avant que nos ego ne deviennent aussi gros que nos frigos. Je suis sûre que tu comprends ce que je dis, hein ? Respire ce que tu ne seras plus. Expire.
Tu te souviens quand nous étions le vent sur les feuilles ? Tu te souviens que se défendre n’avait aucun sens car : nous étions «Un».
De cette dislocation collective est née la mort et la limitation. De cette dislocation des croyances sont nés la nuit et le mensonge., De cette fausse promesse d’être libre, en étant seul·es et isolé·es, nous ne nous souvenons plus de rien. Et dans cette épaisse brume d’amnésie collective, nous cherchons la sortie de secours.
Nous sommes «Un».
Comme cette absence est en fait la réévaluation du «nous» en tant qu’entité plurielle du vivant. Ce que j’appelle le vivant est tout ce qui existe à l’échelle de l’univers, du visible au non-visible, de la vibration magnétique et quantique des éléments jusqu’à la présence la plus envahissante, celle des humains. L’absence ne veut pas dire la non-existence. L’invisible doit être considéré dans cette part du «nous». Il s’agit des fantômes, des ancêtres et des entités spirituelles. Si nous les avions pris en compte, comme nos «parents autochtones», nous aurions pu considérer notre existence humaine légèrement moins égocentrée, évidemment plus empathique envers toutes propositions de vies sociales et relationnelles, d’attitudes et de désirs humains.
Nous sommes «Un».
À l’abri du bougainvillier, j’ai fait un rêve de fleur en fleur, si doux que le vent les poussait lentement jusqu’au bout de ma vie. J’ai ri aux éclats de voir les oisillons s’étendre sur les branches sèches à la fin de l’été. Un arbre se crispe et se débat pour mieux mugir son silence éternel, et nous, au premier jour de ton réveil, Terre-mère, les yeux fripés de sommeil, caressons les ondulations vibrantes des eaux des rivières exaltantes. Inodore, invisible, le monde se dessine. Mille feux et couleurs sortent de la terre comme des faisceaux de phares de bateaux dans la nuit mais c’est bel et bien le jour. Le temps se raccourcit et le ciel est rouge de colère douce apaisée, anxieux des jours présents. Le calme est trop calme pour y croire. La nature reprend son droit d’exister et de s’aimer après deux mille ans d’esclavage intensif. Farouche Terre.