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Place à demain: témoignage

#NousToutes Lille : «Plus on va parler, plus on va se libérer»

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Illana, étudiante lilloise de 22 ans et victime d’inceste dans son enfance, a rejoint le collectif féministe pour trouver du soutien et s’engager dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Manifestation contre les violences faites aux femmes, à Lille, en novembre 2022. (Felix Lebelle/Hans Lucas. AFP)
publié le 12 janvier 2024 à 9h12
Les 26 et 27 janvier 2024, Libération coconstruit avec les moins de 30 ans Place à demain. Un événement dédié à l’écoute de la jeunesse et ouvert aux débats entre toutes les générations. Une soirée et une journée de rencontres gratuites, au Théâtre du Nord et en partenariat avec la Métropole européenne de Lille, le Théâtre du Nord, la CCI Grand Lille Hauts-de-France, l’université de Lille, la Voix du Nord et BFM Grand Lille. Entrée libre sur inscription.

Illana, 22 ans, est membre de #NousToutes Lille, un collectif féministe né en 2018 à l’initiative de la militante Caroline De Haas, «ouvert à toutes et tous, constitué d’activistes bénévoles dont l’objectif est d’en finir avec les violences sexistes et sexuelles». La jeune femme raconte.

«J’ai été victime d’inceste quand j’étais enfant. Après avoir longtemps gardé le silence, j’ai eu besoin de soutien et j’ai rejoint ce collectif féministe. Ma plainte est encore en train d’être examinée. Je n’osais pas parler. C’est compliqué parce que c’est la famille… Cela va prendre du temps. Je tiens à dire que cela s’est bien passé lorsque j’ai été à la gendarmerie. Ce n’était pas gagné. Avec le temps, il est plus difficile d’amener des preuves matérielles. Il a fallu six ans avant que je dépose plainte.

«J’ai rejoint l’association l’an dernier. J’avais besoin de m’engager, parce que je n’allais pas très bien. Cela aide de se retrouver avec d’autres victimes. On examine les répercussions du traumatisme sur nos personnalités. J’arrive aujourd’hui à construire quelque chose de sain autour de ce qui m’est arrivé. Je suis étudiante à l’université de Lille en philosophie et sociologie, programmatrice dans un cinéma, chargée de projet…

«On n’a pas de locaux. Nos réunions se font dans des locaux associatifs. On est surchargées de matériel, de pancartes, de peinture ou de colle… On fait des collages la nuit. On a des sacs avec notre logo pour mener nos actions. On bénéficie de subventions, mais occasionnellement. Ce sont surtout les dons qui nous aident ; et notre participation financière. On a une cagnotte.

«On travaille parfois avec des avocates. On n’aide pas directement les personnes mais on les oriente vers des associations qu’on connaît. Le collectif fait surtout des actions coup de poing dans la rue, comme la marche du 25 novembre. On effectue aussi de la prévention, de la sensibilisation.

«Une action type ? On se met dans la rue, par exemple sur la Grand Place, à Lille. On s’expose avec des pancartes autour du cou. On distribue les tracts avec les chiffres, des définitions, pour sensibiliser. Souvent, un gros silence s’installe. Les gens nous regardent et s’en vont. Parfois, une personne vient nous voir pour nous dire que «c’est horrible» et espérer que cela n’arrivera plus… Militer me permet de comprendre que je peux être soutenue. Quand on fait des discours devant 2 000 personnes, cela fait du bien. On essaie aussi de faire des formations dans les lycées et les collèges, de prendre le problème à la racine.

«L’association reste très féminine mais est ouverte à tous. Certaines personnes ont un vrai traumatisme qui les pousse à rejeter tous les hommes. Les garçons ne prennent pas trop la parole, la majorité d’entre eux viennent parce que leur copine est engagée… En parler reste difficile. Même entre nous.

«Je suis attachée à mon histoire. J’ai l’impression que ce qu’on fait va être utile. Cela me permet aussi de relativiser. Etre compris et partager est important. Plus on va parler, plus on va se libérer. Plus on va entrer dans l’espace public. J’ai vécu la double peine, de l’inceste et de ne pas être crue par ma famille. Je dois transformer cela en force. Je pense que si j’en fais autant, c’est pour me prouver que je peux y arriver. Qu’il ne m’a pas tout enlevé. J’essaie de porter le maximum de projets. Tout ce que j’ai entre les mains, je l’utilise. C’est une lutte constante d’être victime.»