Fin mars, dans le sud de Montpellier, s’est déroulée une inauguration qui illustre le changement de paradigme énergétique en cours. Sur le toit de l’école Bertie-Albrecht, 350 m² de panneaux solaires ont été installés, permettant de potentiellement économiser 7 500 euros par an dans ce lieu et d’autres services publics (stade, gymnase, crèche…), remboursant ainsi l’installation en à peine six ans. En tout, quelque 35 installations photovoltaïques ont pris place sur les toits de bâtiments de la ville, de sa métropole ou de leur aménageur, Altémed. De quoi produire quelque 6 GWh par an, l’équivalent de seulement 1 250 logements, mais d’autres projets aux serres de Grammont et sur le toit d’autres écoles doivent également être arrimés l’an prochain. Ils rejoindront les 618 308 installations d’énergies renouvelables pour autoconsommation totale ou partielle en France, selon le rapport d’Enedis publié en octobre. Un chiffre qui a plus que doublé en deux ans.
Bien au-delà de l’Hérault, les énergies renouvelables se développent massivement. En cinq ans, la part de solaire et d’éolien dans la production d’électricité a doublé dans le monde, atteignant 13 % en 2023 – et 30 % pour l’ensemble des énergies renouvelables (ENR), en comptant notamment l’hydroélectricité. Et si les combustibles fossiles fournissent toujours 60 % de l’approvisionnement mondial, il s’agit de la part la plus faible depuis cinquante ans, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Ce boom n’est par ailleurs que le début d’une progression qui s’annonce exponentielle. Dans son dernier rapport «Energies renouvelables 2024, analyse et prévisions à l’horizon 2030», publié en octobre, l’AIE estime que «la capacité mondiale en énergies renouvelables devrait être multipliée par 2,7 d’ici 2030» – 60 % de ce progrès mondial sera réalisé uniquement par la Chine. Comme sur le toit des écoles montpelliéraines, le solaire va devenir une source prioritaire, puisqu’il accapare «80 % de la croissance mondiale des énergies renouvelables d’ici la fin de la décennie».
«Besoins en terre»
L’urgence climatique impose de décarboner au plus vite la production d’énergie et d’électrifier les usages. Pour tenter de rationaliser les enjeux et sortir du débat caricatural «pour ou contre le nucléaire ou les ENR», RTE, le gestionnaire du réseau électrique, a publié en 2022 «Futurs énergétiques 2050». Cette étude de plus de 900 pages dresse six scénarios pour la France, allant du 100 % énergies renouvelables à un parc nucléaire permettant de produire 50 % de l’électricité (contre 65 % en 2023), le reste par les ENR. «Les principaux scénarios de mix étudiés sont tous caractérisés par une part croissante des énergies renouvelables et une baisse de la part du nucléaire», précise le gestionnaire du réseau, y compris dans le scénario «N03» qui prévoit «une prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs actuels», «la prolongation de quelques réacteurs au-delà de soixante ans d’exploitation», «un rythme de construction des EPR2 poussé au maximum» et «la possibilité de développer d’autres types de réacteurs tels que les petits réacteurs modulaires». Et si la production d’électricité nucléaire est de 338 TWh en 2050 (contre 320 TWh en 2023), ce scénario, qui prévoit pourtant un investissement maximal dans l’atome, reste loin du pic de 2005 (430 TWh). Lors de son discours de Belfort en février 2022, Emmanuel Macron appuyait de son côté sa stratégie quelque part entre ce scénario et le «N2», qui prévoit 36 % de nucléaire en 2050 grâce aux nouveaux EPR uniquement.
RTE n’est pas la seule institution de renom à défendre cette analyse d’un futur énergétique mixant les ENR et l’atome – et dont la sobriété et l’efficacité sont les deux autres piliers. Dans son sixième rapport, qui compile 14 000 études scientifiques, le Giec expliquait en 2022 que «l’énergie nucléaire augmente sa part dans la plupart des trajectoires [prévoyant l’augmentation des températures mondiales de seulement] 1,5 °C […], mais dans certaines trajectoires, la capacité absolue et la part d’électricité provenant des générateurs nucléaires diminuent», notamment en raison de «préférences sociétales». Autrement dit : pour limiter le réchauffement climatique, on peut faire avec un peu moins d’atome, mais la plupart des scénarios choisissent de lui faire confiance. Cités par le Giec, trois chercheurs de l’université d’Adelaide sont arrivés à la conclusion que «pour atténuer efficacement le changement climatique, une forte pénétration du nucléaire associée à un mix d’énergies renouvelables approprié au niveau national permet d’obtenir un bien meilleur rapport coût-efficacité et efficacité foncière qu’un avenir exclusivement renouvelable pour réduire les émissions». Et si les détracteurs du nucléaire rappellent par exemple les coûts des EPR en France, les chercheurs calculent qu’«une trajectoire sans nucléaire impliquerait un investissement en capital cumulé jusqu’à 50 % supérieur à un scénario de forte pénétration nucléaire».
A lire aussi
Les deux segments des énergies décarbonées subissent par ailleurs chacun des critiques, rappelant ainsi que l’énergie la plus propre est celle qui n’est pas consommée. La sûreté est très souvent opposée au nucléaire, avec les souvenirs de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011. Le Giec rappelle en revanche que «l’évaluation comparative des risques montre que les risques sanitaires sont faibles par unité de production d’électricité et que les besoins en terres sont inférieurs à ceux des autres sources d’énergie». Ce dernier point est d’ailleurs reproché aux ENR, notamment lorsque des terres cultivables sont utilisées pour installer des parcs solaires ou de l’agrivoltaïsme non raisonné. Quant à son coût, «l’éolien terrestre et le solaire photovoltaïque sont aujourd’hui moins chers que les nouvelles centrales à combustible fossile presque partout», affirme Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE.
Véhicules électriques, pompes à chaleur…
Toujours est-il qu’il semble impossible d’avancer le plus vite possible vers la neutralité carbone sans ces deux jambes énergétiques. Aussi parce que, même avec un travail sur la sobriété et l’efficacité énergétique, la décarbonation des usages passera par leur électrification : véhicules électriques pour remplacer les thermiques polluantes ; machines électrifiées et hydrogène vert pour éradiquer le charbon et le gaz des usines ; pompes à chaleur plutôt que chaudières au fioul… Il faudra alors entre 50 et 165 TWh en plus en France d’ici 2035, selon RTE, qui précise : «Tous les scénarios d’électrification nécessitent d’accroître le volume de production renouvelable, car il s’agit du moyen le plus rapidement mobilisable pour produire de l’électricité décarbonée.» Ce n’est qu’en 2037 que les premiers EPR2 doivent être mis en marche en France. D’ici là, les ENR devront jouer leur partition, à Montpellier comme ailleurs.