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Quelle culture pour quel futur ? Tribune

Œuvrons pour une nouvelle gastronomie végétale

Quelle culture pour quel futur ?dossier
Notre consommation, et de manière plus précise notre alimentation, est l’une des causes du réchauffement climatique et de la disparition du vivant sur Terre. Il est temps d’y réfléchir.
Choisir de mettre le végétal au cœur de l’assiette, c’est œuvrer pour une gastronomie responsable, le respect de l’environnement, la protection du vivant, des écosystèmes et de la biodiversité. (Yulia Reznikov/Getty Images)
par Claire Vallée, cheffe étoilée pour ONA, gastronomie végétale
publié le 25 novembre 2022 à 22h56

Du 2 au 4 décembre, au Centre Pompidou, trois jours de débats et d’échanges pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes et articles dans le dossier thématique dédié à l’événement.

Ce n’est pas parce que c’est institutionnel ou traditionnel que c’est bien, bon ou tout simplement juste. En tant qu’êtres humains, conscients de nous-même et de ce qui nous entoure, nous nous devons de réfléchir aux comportements et choix que nous adoptons chaque jour dans notre vie. Sans juger ni imposer, il y a des fondamentaux éthiques et des lois immuables qui régissent la vie sur cette planète et sur lesquels nous ne pouvons déroger. Notre consommation, et de manière plus précise notre alimentation, est l’une des causes du réchauffement climatique et de la disparition du vivant sur Terre, y compris de notre espèce. Il y a énormément à dire sur ce sujet, et je ne peux citer ici tous les points qu’il serait urgent d’améliorer, voire totalement réformer.

La pollution des sols, des rivières et des océans, occasionnée par les déjections animales et les intrants chimiques présents dans la culture de certaines céréales, notamment pour le bétail, entraînent, en plus de la surpêche, la disparition de la faune océanique. Les effets sont multiples : augmentation du CO2 dans les océans, prolifération de certaines algues particulièrement nocives, apparition de zones mortes dans l’océan, etc. En effet, un tiers du CO2 lié aux activités humaines est absorbé par les océans chaque année, entraînant l’acidification de ces derniers et la disparition des récifs coralliens dont se dépendent de nombreuses espèces de poissons.

Dépoussiérer la tradition

La déforestation massive liée à la culture, en partie celle du soja génétiquement modifié, pour nourrir ces animaux, le méthane rejeté dans l’air par les bovins et autres, continuent d’accélérer ces processus de dérèglement. Les antibiotiques et hormones de croissance injectés aux animaux et poissons élevés en batterie et que nous ingérons de ce fait, en consommant des produits carnés et laitiers tous les jours, provoquent de graves maladies et des troubles irréversibles sur la santé. La consommation d’eau nécessaire à la culture des céréales destinées à l’alimentation des animaux et à l’agriculture intensive (en opposition à la permaculture) est également un des points, et non des moindres, à soulever face à la pénurie qui nous guette.

Je terminerais par un sujet qui me touche tout particulièrement : l’élevage intensif. La cruauté dont nous pouvons faire preuve face à ces êtres sentients, exploités pour leur viande, leur peau ou à des fins de tests en laboratoire (la liste est longue encore) et qui ne verront, pour la plupart, jamais le jour ou le brin d’herbe qui devrait normalement les nourrir. Enfermés, transportés et abattus dans des conditions barbares pour contenter des lobbies toujours plus puissants et peu regardant vis-à-vis des consommateurs. Où est donc passé notre humanité, cette empathie qui fait de nous ce que nous sommes ?

Forte de ce constat, et ayant l’audacieuse prétention de vouloir dépoussiérer la tradition, je me suis lancée dans une aventure, il y a plusieurs années de cela, qui est bien loin d’être terminée. Quand on souhaite faire bouger les lignes il n’y a pas trente-six moyens, il faut s’attaquer au sacro-saint. Et en France, c’est bien la nourriture qui fait loi. ONA fut la réponse à cette question : peut-on manger écologiquement et éthiquement sans perdre le plaisir ? OUI. Sans être une activiste ou «intégriste», le bon sens fait sens en ces temps troubles. Mon approche culinaire autour de ONA n’est pas «LA» solution (en toute humilité) mais bien une proposition de ce que pourrait être une des «cuisines» de demain.

Se poser les bonnes questions

Nous sommes au début d’un nouveau moment de l’humanité et d’un nouveau monde. Nous sommes tous responsables de nos vies et de nos choix. Il est temps, je pense, au vu de la situation actuelle, de se poser les bonnes questions. Je suis donc pour une gastronomie végétale, une autre façon de consommer, un retour nécessaire à une nature accueillante et prospère, une ouverture lumineuse vers une transition possible.

Etant de plus femme et cheffe, je crois au végétal et à l’inépuisable source d’inspiration et de créativité qu’offre la nature. Choisir de mettre le végétal au cœur de l’assiette, c’est œuvrer pour une gastronomie responsable, le respect de l’environnement, la protection du vivant, des écosystèmes et de la biodiversité. Sans jamais renoncer au plaisir.

Tout comme la nature est forte et inspirante, l’Humain l’est tout autant dans sa résilience. Je crois en notre capacité à nous réinventer et à trouver les solutions viables (beaucoup existent déjà) pour notre futur et celui des générations à venir. Nous nous sommes perdus en chemin, l’individualisme nous ayant écartés de nos devoirs de femmes et d’hommes. Il est nécessaire aujourd’hui, si nous souhaitons survivre, de repenser nos habitudes, notre rapport au monde et à tous ses habitants, et ce, quelle que soit leur espèce. Il n’y a pas de grandes victoires sans grandes batailles. Et cette bataille commence aujourd’hui, et avec vous.