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Roman

«On est devenu responsables du monde, il faut s’en occuper»

A l'heure de l'aventuredossier
Dans son dernier roman, Laurent Lussier propose une réflexion sur la complexe cohabitation entre la nature et la civilisation. Rencontre avec l’auteur.
Un renard devant la Galerie nationale des arts, sur le National Mal là Washington (Catherine MacDougall-Kamm/AFP)
publié le 8 avril 2025 à 0h25

«Un jeune homme décide de prendre des vacances en solitaire dans une forêt et découvre un étang sur lequel flotte une étrange mousse orange. Non loin de là, une chauve-souris gît dans la boue, affaiblie et couverte de boutons.» Laurent Lussier nous emmène, avec Un mal terrible se prépare (Arthaud) dans une étonnante enquête policière au cœur de la forêt. Là où les animaux tombent malades, les hommes ne sont pas loin de ne pas aller bien. «Mais c’est ainsi qu’il faut vivre […] en s’attendant au pire […] Les épreuves arrivent par surprise. A tout moment peut résonner une alarme […] L’adversité survient à tout moment, certes, mais l’essentiel est de se tenir prêt». La complexe «cohabitation entre la nature et la civilisation», tel est l’ambitieux propos de cet ouvrage.

Laurent Lussier a une formation d’urbaniste. Il s’intéresse particulièrement à la situation des animaux en ville, qui le fascine. Cet écosystème où vivent des renards ou des coyotes, ces animaux sauvages qui vivent en mangeant des déchets, ces «animaux dénaturés qui vivent dans un environnement humanisé, où la nature est présente» comme il l’explique à Libération.

Longtemps, l’auteur a organisé des marches de trois jours dans le grand Montréal, où il vit, traversant diagonalement le territoire. Il y côtoie de grandes surfaces commerciales, des usines, un marécage, des espaces résidentiels… Son roman fait un curieux écho à la fable de La Fontaine Les animaux malades de la peste. Et il ajoute malicieusement : «on peut lire le livre comme un exercice de style, mais cette menace n’est pas une fiction. De ces enjeux environnementaux, les gens en ont-ils conscience ? Au Canada par exemple, on construit un terminal pour liquéfier du gaz et l’envoyer en Europe. Il y a toujours de bonnes raisons. Il se passe des choses graves sur lesquelles personne n’a de prise».

Et de poursuivre : «On effectue le recueil des animaux blessés, mais une fois recueilli qu’en fait-on ? On est devenu responsables du monde, il faut s’en occuper. Il y a une présence de l’animal à laquelle on n’était plus habitués. Que les animaux, en ville, tombent malades, cela ne génère aucun sentiment de responsabilité».

Dans l’ouvrage, on retrouve en filigrane la véritable histoire de la maladie du museau blanc qui se loge dans le nez des chauves-souris. Elles n’hibernent pas et meurent de fatigue. Une hécatombe. «Plus les générations arrivent, plus les références changent, explique l’auteur. Par exemple, l’absence de grenouilles devient normale. Il y a de plus en plus d’inquiétudes environnementales». Laurent Lussier se voit-il comme un lanceur d’alerte ? «J’ai beaucoup de respect pour le militantisme. J’ai un inconfort avec la position d’auteur qui se réclame du militantisme, lequel doit se salir les mains. Mais si on fait prendre conscience à des gens qu’il se passe quelque chose, cela peut servir comme base de réflexion. Notre imaginaire collectif se transforme. Des questions incontournables se forment, dans la manière d’aborder le monde.»