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Libération
Le temps d'un Grand Bivouac : rencontre

«On est tous reliés à l’environnement»

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
Croisée au Grand Bivouac d’Albertville, Sylvie Brieu, autrice de «l’Ame de l’Amérique», revient sur son road trip au Montana.
Bétail dans la chaîne Gravelly au pied de Black Butte, comté de Madison, Montana, 1942. (Library of Congress/Getty Images)
publié le 10 novembre 2022 à 12h43

Après avoir vécu trois ans en Birmanie et enquêté dans les zones ethniques, Sylvie Brieu est partie au contact de la souffrance humaine dans les camps de déplacés. Puis elle a ressenti le besoin d’aller dans les grands espaces de l’Ouest américain pour se ressourcer et sentir «battre le pouls de l’Amérique». «Ce pays que j’avais toujours aimé, je ne le retrouvais plus… Je me suis rendu dans un Etat de l’Ouest, le Montana, pour y retrouver la quintessence de l’âme américaine, ce que les Etats-Unis ont de mieux à offrir au monde.»

«Equilibre fragile»

Sylvie Brieu vit désormais entre le Montana et la France et y trouve son point d’équilibre. Elle y a, dit-elle, connu des «émotions tellement fortes que j’ai mis six ans à écrire le livre, au contact de la nature». Ce territoire est marqué par des épisodes fondateurs de l’Etat moderne américain, comme l’expédition de Lewis et Clark, la bataille de Little Big Horn, la création du premier parc national au monde, en 1872. «On est carrefour de mondes anciens et modernes. Le Montana est cet Etat qui m’a réconcilié avec l’âme américaine. L’environnement y représente un des derniers sanctuaires naturels au monde. On y a vu des descendants de pionniers et de la résistance indienne, ennemis jurés, s’allier contre ceux qui veulent forer, construire des barrages, extraire de l’or. C’est un Etat républicain, devenu Etat mauve, entre rouge et bleu : républicain et démocrate. On y trouve des suprémacistes blancs qui vont s’y installer, attirés par les paysages extraordinaires. C’est aussi un Etat permissif en matière d’armes, qui incarne ces promesses de l’Ouest, un esprit libertaire, ‘“je fais ce que je veux”. Des gens fuient les villes pour s’installer dans ces grands espaces, des survivalistes qui ont comme projet de fonder une nouvelle Amérique. C’est une minorité qui commence à grossir et à menacer l’équilibre fragile de cette région.»

La vie, là-bas, ce sont aussi des petites communautés comme Livingstone, 8 000 habitants, avec une vie artistique et littéraire très dynamique. Des écrivains et des artistes très engagés, qui ont une conscience de la beauté de l’environnement et de leur survie, intellectuelle, physique et émotionnelle, sont prêts à s’allier avec ceux qui aiment cette nature pour se défendre. «On se sent dans un cocon, toute la communauté se met en marche quand un de ses membres est en danger. Sylvie Brieu souligne le fait qu’il faut de réelles facultés d’adaptation, qu’on n’a pas en ville. Rôdent ainsi le grizzly et le wapiti, les meutes de loups, les méfaits de la sécheresse et les feux. Tout ce qui perturbe le cycle de la nature.

Processus de guérison

L’Etat, dépeuplé (avec un peu plus d’un million d’habitants), couvre environ les deux tiers de la France. On y retrouve la diversité des cultures autochtones, douze nations, sept réserves, des Crow aux Black Feet en passant par les Cheyennes du Nord. Des peuples qui nourrissent un traumatisme transgénérationnel d’avoir été massacrés, qui perdure au sein des communautés. Un processus de guérison est mené par des anciens, leaders spirituels, qui vise à redonner aux gens la conscience de la richesse de leurs cultures et de leurs origines.

«On les a envoyés au pensionnat, déconnectés de leur racine et de leur identité. Il faut leur inculquer à nouveau le sens de qui ils sont. Savoir d’où on vient pour savoir où on va, et comment on s’en sort maintenant… L’omerta sur ces massacres ne favorise pas le processus de paix et de réconciliation. Des villes s’appellent encore Custer et Sheridan. Mais les Indiens et les gens qui les soutiennent sont en train de faire débaptiser ces lieux qui ont des noms de massacreurs. Chaque année a lieu une chasse au bison à laquelle on convie les plus jeunes. La peau sert pour les tipis, on mange sa viande, avec les cornes on fait de la colle. Cet animal a un potentiel de communication avec la nature et la faune. Quand tu rencontres le bison, tu as l’impression qu’il t’observe, mais tu ne sais pas ce qui va se passer, s’il va charger… Tu comprends juste pourquoi on est tous reliés à l’environnement, les uns aux autres.»