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Monde solidaire : l'extrême urgence

Paludisme: une piqûre de Mosquirix, une percée pour la science

Monde solidaire : l'extrême urgencedossier
Si le tout récent vaccin commence à donner des résultats, il n’est efficace qu’à 30% et n’est encore qu’un outil parmi d’autres pour faire régresser drastiquement le taux de mortalité infantile.
Vaccin contre le paludisme dans un hôpital au Malawi, en 2019. (AMOS GUMULIRA/AFP)
publié le 21 mars 2022 à 17h34

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Dans certaines parties de l’ouest du Kenya, les centres hospitaliers regorgent d’enfants atteints du paludisme. Dans ce grand pays d’Afrique de l’Est, cette maladie, qui a encore fait 627 000 morts en 2020, dont 96 % en Afrique, est un problème de santé publique majeur. Près des trois quarts de la population sont exposés au risque de la contracter, en raison de l’altitude, des fortes précipitations et des températures élevées.

Mais plus de deux ans après le lancement d’un programme pilote du premier vaccin antipaludique du monde, le Kenya entrevoit doucement la lumière au bout du tunnel. Grâce à ce nouvel outil, les hôpitaux de cette région endémique constatent une baisse des admissions des enfants de moins de 5 ans, qui représentent 80 % des décès imputables à cette maladie parasitaire.

«Moment historique»

Le 6 octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donné son feu vert pour le déploiement massif du vaccin RTS, S (Mosquirix, son nom commercial) chez les enfants vivant en Afrique subsaharienne et dans des zones à risque. Un «moment historique […], une percée pour la science, la santé infantile et la lutte contre le paludisme, s’est réjoui Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’agence onusienne. L’utilisation de ce vaccin en plus des outils existants pour prévenir le paludisme pourrait sauver des dizaines de milliers de jeunes vies chaque année». Il aura fallu plus de trente ans pour parvenir à une telle avancée, en raison de la complexité de développer un vaccin contre un parasite, et non pas un virus. En décembre, le conseil d’administration de l’Alliance du vaccin (Gavi) a approuvé un programme de vaccination dans les pays endémiques du continent africain et débloqué plus de 155 millions de dollars pour la période 2022-2025.

Dès 2019, le Kenya, mais aussi le Ghana et le Malawi, ont commencé à introduire ce vaccin dans les régions à transmission modérée ou élevée. Plus de 830 000 enfants ont été vaccinés tandis que 2,3 millions de doses ont été administrées. Fabriqué par le géant pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK), il est le premier vaccin ayant entraîné une réduction significative des formes graves du paludisme (-30 %) et d’hospitalisations pédiatriques, y compris dans les zones où il existe un bon accès au diagnostic et au traitement. «Introduit à grande échelle en Afrique, ce vaccin se traduira par des millions de cas de paludisme évités et permettra à davantage de familles de rester intactes», explique le Dr Mary Hamel, responsable à l’OMS du programme de mise en œuvre du vaccin antipaludique.

Dans les zones de forte transmission, où 20 à 30 % des décès infantiles sont imputables à la malaria, rares sont les familles qui n’ont pas perdu un enfant, un frère, une sœur ou un être cher à cause de la maladie transmise par les moustiques. D’autant que la pandémie de Covid-19 a perturbé les efforts de lutte, contribuant à l’augmentation considérable des nombres de cas (14 millions) et de décès (69 000) entre 2019 et 2020. Les progrès réalisés dans la lutte antipaludique étaient déjà en stagnation ces dernières années, en raison notamment du manque de financements et de la résistance des moustiques et du parasite aux insecticides et aux antipaludéens. Une véritable «menace pour les efforts mondiaux de contrôle des vecteurs», déplore un porte-parole de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid).

Eventail d’outils

Si l’OMS salue «un parfait exemple d’innovation à l’œuvre et une percée scientifique», l’agence onusienne conseille aux Etats de considérer le vaccin comme faisant partie intégrante des outils dont ils disposent. «L’efficacité de RTS, S n’est que de 30 %, ce qui est encore trop peu. Le vaccin doit absolument être combiné à d’autres moyens de prévention, comme l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide, estime la directrice de l’ONG Impact santé Afrique, Olivia Ngou. Il est nécessaire de poursuivre la recherche pour obtenir un vaccin avec au moins 80 à 90 % d’efficacité.» Une récente étude de la London School of Tropical Medicine a par ailleurs fait état d’une réduction de 70 % des hospitalisations et des décès chez les enfants ayant reçu le vaccin RTS, S associé à des traitements antipaludiques pendant la saison des pluies.

Les ministères de la Santé des pays endémiques devront désormais déterminer s’ils comptent introduire le nouveau vaccin dans le cadre de leurs plans nationaux de lutte contre la malaria. «Ces activités prendront du temps, et il est probable que l’extension du vaccin à de nouveaux pays commencera fin 2023, ajoute le Dr Mary Hamel. Nous nous attendons à ce que la demande de vaccin soit très élevée, et l’augmentation de l’offre pour répondre à la demande est une priorité.»