Ils seront les premiers concernés par les changements climatiques et les défis environnementaux. Comment les jeunes voient-ils l’avenir ? Quelles conséquences pour leurs villes, leur alimentation, leurs loisirs ? A chaque étape de notre Climat Libé Tour, nous avons invité lycéens, étudiants ou membres d’association à venir débattre et proposer aux élus leurs solutions. Des sessions suivies par les étudiants en journalisme (de l’Ijba, CFJ, ESJ Lille, Ejcam) qui nous ont accompagnés dans chaque ville.
Bordeaux, les 4 et 5 février
«On ne peut pas dire aux gens d’arrêter de voyager !»
Une drôle d’agora en bois posée là, au milieu de l’atrium du campus de la Victoire de l’université de Bordeaux. Des estrades de part et d’autre d’une structure à roulettes. Malgré la température glaciale, une cinquantaine de jeunes âgés de 15 à 24 ans sont entassés sur des assises inconfortables. Ils sont conviés à l’assemblée des jeunes : le Parlement génération transition (PGT). «Vous contribuez à la vie politique à votre façon. On vous donne la parole aujourd’hui !» lancent le maire écologiste de la ville de Bordeaux, Pierre Hurmic et le président du département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, venus pour l’occasion.
On distribue des ardoises et des questions à choix multiples. Le quiz commence. Juliette Lenrouilly et Esther Meunier, journalistes environnement rompues à l’exercice du journalisme de solutions, l’animent. Désigner le nombre de limites planétaires, trouver la signification de l’acronyme Giec, deviner le bilan carbone d’un aller-retour Paris-New York… Les participants votent à main levée pour donner leur réponse. Et ils ont souvent tout juste. Regards complices, des groupes se forment pour participer aux trois ateliers thématiques : échanger (les monnaies), se déplacer (les mobilités) ou valoriser (les déchets).
Silence. Yeux fermés. Visages concentrés. L’atelier mobilité débute par un temps de méditation. L’objectif est de s’imaginer en 2050 dans un futur désirable. «Et dans ce monde parfait, réfléchissez à comment vous vous déplacerez !» «N’hésitez pas à faire dissensus, vous êtes un parlement», encourage l’animatrice. Une idée farfelue fuse immédiatement : construire un sous-marin pour réaliser de longs déplacements. L’auditoire s’esclaffe. Eve, en terminale, ne se démonte pas : «On ne peut pas dire aux gens d’arrêter de voyager !»
Dans les petits groupes, les idées se multiplient. Toutes ne sont pas réalisables et les économistes néophytes en sont bien conscients. «J’espère quand même que les propositions vont être examinées [par la mairie de Bordeaux et le département de Gironde], s’interroge une étudiante. Faire de la participation citoyenne c’est bien. Mais si c’est pour faire du bullshit politique, je trouverai ça dommage.»
Paris, les 11 et 12 mars
«C’est facile de s’exprimer et de proposer ses idées»
Loin du «bullshit politique» et de la langue de bois redoutés, Féris Barkat, cofondateur de l’association Banlieues Climat, attaque fort : «Je trouve pertinent de nous qualifier de génération miracle : s’il faut faire la révolution, on la fera.» Dans les locaux de la mairie du IVᵉ arrondissement de Paris, les dorures côtoient les anges de la Renaissance peints au plafond. De grands rideaux pourpres encadrent les fenêtres s’élevant jusqu’aux lustres. Un drapeau européen flotte au vent au-dessus du parvis de l’Académie du climat… C’est dans ce décor impressionnant que débute la deuxième étape du PGT. Dans la salle des mariages, au deuxième étage, la cinquantaine de jeunes semble bien décidés à prendre en main cette session. Ici aussi, presque tous les participants sont déjà sensibilisés aux questions du dérèglement climatique. «Cette initiative ne prêche que les convaincus», reconnaît un peu dépitée Manon, 25 ans, membre d’une association établie à l’Académie du climat.
Quelques questions plus tard, l’assemblée se divise en plusieurs groupes. Chacun entame une réflexion sur une thématique liée à la transition écologique de la ville de Paris. «Entamez votre voyage temporel dans la capitale en 2040. Vous partez faire vos courses pour un dîner entre amis», énonce Clara, l’une des animatrices. «Qu’allez-vous acheter ? Dans quel type de magasin ?» Les jeunes laissent libre cours à leur imagination. Laura griffonne ses premières idées. «On pourrait imaginer un réseau d’épiceries solidaires qui récupéreraient les invendus de la restauration collective». Dans la salle adjacente, les débats se concentrent sur les transports du futur. Léo dévoile son idée : amplifier l’offre de transport en commun, notamment la nuit et en périphérie. «Il faudrait aussi des nouveaux RER, mais sortir du schéma en étoile qui oblige toujours à passer par le centre de Paris», ajoute sa voisine. Elisa, 24 ans, l’avoue : «J’ai tendance à être un peu timide. Mais avec cette organisation en petits groupes, c’est facile de s’exprimer et de proposer ses idées, sans avoir peur d’être jugée.»
Lyon, les 13 et 14 mai
«Et si on oubliait tout ça et qu’on allait boire un coup ?»
Il est 11 heures, lorsque les parlementaires d’un jour traversent la cour de l’hôtel de ville de Lyon. Blazer rose et sourire aux lèvres, Charlotte est parmi les premiers arrivés. Cette étudiante en première année d’une école de commerce partage son enthousiasme : «Je suis contente de pouvoir agir, plutôt que de simplement m’informer dans mon coin. J’ai envie de travailler en groupe pour trouver des solutions concrètes.»
Les jeunes s’installent parmi les rangées de chaises positionnées sous les lustres du hall de l’hôtel de ville. La séance débute avec le traditionnel quiz. «On imagine qu’on est en 2050 et que les objectifs de la transition écologique ont été atteints», énonce Florent Glon, bénévole à Oxfam, l‘ONG qui a rejoint les rangs du parlement et le coorganise avec Libé. Une démarche constructive qui plaît à Ada, collégienne de 14 ans, la plus jeune parlementaire. «Je ne souffre pas d’écoanxiété car j’essaye de rester optimiste. Je voulais venir pour participer au débat parce que je trouve que les éco-délégués de mon collège n’en font pas assez», affirme-t-elle. Le débat se lance : «Les femmes sont le plus en danger la nuit, peut-être qu’il faudrait plus illuminer les espaces publics ?» lance Charlotte, étudiante à l’EM Lyon. «Oui mais pour la faune, tout illuminer n’est pas la meilleure solution», objecte Gabrielle, étudiante vétérinaire.
Après quelques heures de discussions animées, mission accomplie : tous les groupes ont des propositions à présenter. A tour de rôle, les jeunes déposent des autocollants colorés à côté des lois qu’ils souhaitent retenir. Carnet et stylo à la main, le maire Grégory Doucet arrive juste à temps, alors que le vote se termine. Parmi les suggestions retenues : des jardins partagés dans les quartiers les plus précaires, des fermes éducatives en ville, des fonds de rénovations pour les personnes dans des logements usagés et des incitations financières pour acheter des produits locaux.
La session s’achève. Etre jeune, engagé, lucide face aux crises qui menacent, cela n’empêche pas de profiter du temps présent. «Et si on oubliait tout ça et qu’on allait boire un coup ? C’est samedi !» lance une étudiante à un garçon rencontré lors de la journée.
Dunkerque, les 13 et 14 octobre
«N’importe quoi, tout le monde pollue !»
«Vrai ou faux, est-ce que les éoliennes tuent beaucoup d’oiseaux ?» A cette question, les voix s’élèvent, sûres et certaines : «Ouais, c’est vrai !» Au cœur du port de Dunkerque, la Halle aux sucres accueille près d’une centaine de jeunes de la ville et ses alentours, réunis pour le Parlement génération transition. Les deux journalistes d’Oxfam répondent au micro. Et contre toute attente, énoncent : «Seulement sept oiseaux meurent par éolienne chaque année en France. Et des mesures sont mises en place pour qu’il y en ait encore moins». Murmures étonnés dans l’assistance.
Certains, au fond, somnolent ou en profitent pour une partie de Fifa, quand les premiers rangs sont plus assidus. Maël a été élu éco-délégué de sa classe. Un dispositif de sensibilisation qui existe depuis quelques années. «Moi, j’ai jamais pollué de ma vie !» se vante le blond à lunettes. Ses deux amies, Cassie et Antigone, pouffent de rire. «N’importe quoi, tout le monde pollue !»
Le but de cette journée est surtout d’ancrer ces enjeux dans le territoire. Répartis en petits groupes, ils sont invités à imaginer Dunkerque en 2050, le temps d’une après-midi. Culture, transports, formation et emploi, comment envisagent-ils la transition d’une ville marquée par l’industrie ? Mila, Basile et Manon s’emparent de feutres et de crayons. Un musée multiforme, avec un poulailler et un potager, une réserve naturelle marine ou encore une bibliothèque alimentée à l’énergie solaire… Il est 16 h 15 quand vient l’heure de la restitution des travaux. A travers les fenêtres de la Halle aux sucres, les mâts du port se sont mis à tanguer sous une pluie battante. Après une journée de discussion, l’assemblée commence à se dissiper. Tour à tour, chacun passe au micro. Les voix tremblent un petit peu sous les applaudissements. Sony Clinquart, vice-président de la communauté urbaine en charge de la jeunesse, conclut : «L’imagination est plus importante que les moyens. Et on a besoin de vous pour y arriver.»
Nantes, le 18 novembre
«Savez-vous quels insectes on pourra manger ? Des araignées ?»
L’auditorium de l’hôtel du département de Loire-Atlantique, à Nantes a fait salle comble. Dans les fauteuils en cuir pivotants de l’amphithéâtre où les élus délibèrent habituellement, une centaine de collégiens échangent, devant leur micro. Beau symbole. Sur scène, l’équipe entend persuader l’assemblée qu’il faudra bientôt consommer des insectes plutôt que de la viande. «Les insectes polluent moins.» Un élève complète : «Il ne faudra pas manger tous les insectes. Faire de l’élevage et ne pas prélever dans la nature ceux utiles à la biodiversité.» Une jeune fille pose une question : «Savez-vous quels insectes on pourra manger ?» Un silence. «Des araignées peut-être ?» poursuit-elle avant d’avouer ne pas avoir beaucoup réfléchi au sujet.
Nous sommes à la cinquième étape du Parlement génération transition. Quiz, atelier, débats… Au terme d’un programme désormais bien rodé, arrive l’heure de la restitution et les collégiens se succèdent. L’un suggère d’interdire la voiture pour les trajets de moins de quinze minutes à vélo et de lui préférer le train, la trottinette électrique ou la marche. Ses camarades l’interrogent sur le sort des personnes âgées ou à mobilité réduite. «Peut-être utiliser des vélos cargos ?» avance un des participants. Un autre parle de «repeindre les bâtiments en blanc et y mettre de la végétation afin que cela soit moins monotone». On s’attarde sur la définition de monotone. Doigt levé dans l’auditorium : «Mais qui paiera la peinture ?»
Marseille, le 16 décembre
Les belles pousses de l’Arbre des imaginaires
Les jeunes seraient-ils la dernière espèce en voie de disparition ? Victime du réchauffement climatique ou… des températures glaciales de ce samedi marseillais ? La sixième édition du Parlement génération transition a dû cette fois déclarer forfait faute de participants. Cela n’a pas empêché l’équipe de bénévoles et d’organisateurs présents, sous la houlette de Marin Maufrais et Jillian Mathieu (cofondateur et co-porteur de la Forêt des possibles), de maintenir le programme en débattant de leur projet associatif et de son animation phare : l’Arbre des imaginaires.
Le jeu de l’Arbre des imaginaires est une allégorie de la vie poétique et écologique. Ainsi, le tronc représente les besoins matériels et les graines, les rêves. Durant près de 2 h 30, les membres d’Oxfam ont donc réalisé un travail d’introspection sur leur vie, leurs bonnes (ou mauvaises) habitudes, leur consommation… qu’ils ont pu exposer à leurs collègues. Un exercice que Marin a lui-même expérimenté à la suite d’un important «travail thérapeutique». Au final, une «représentation cartographique des structures qui contribuent à la refondation environnementale et sociale. Ceci dans le but de mettre en relation les entreprises et associations à échelle locale.» Faire dialoguer les générations et les milieux. On était au cœur du sujet. Et on continuera l’année prochaine.
Cinq parlements et des propositions
Regroupés en grands thèmes (consommation, échanges, habitats, mobilités, alimentation…), les ateliers du Parlement génération transition ont débouché sur de nombreuses idées présentées aux maires des villes accueillant le Climat Libé Tour cette année. Retour sur les principales pistes évoquées.
Mobilité. Tendre vers des villes sans voiture ; favoriser les vélos en leur réservant des voies ; mettre en place le prêt d’équipement, des formations au code de la route, des rames pour les vélos ; augmenter les fréquences de passage ; viser la gratuité des transports en commun ; développer le transport fluvial (Dunkerque) ; favoriser les voitures électriques et multiplier les bornes de recharge…
Créer du lien. Collecter des fonds pour les causes écologiques ; créer des cinémas de plein air ; multiplier les festivals et les lieux multifonctionnels, les centres de loisirs ou les centres sportifs, et les exercices de démocratie participative ; privilégier les monnaies locales…
Ecologie. Aménager et verdir les rues ; créer des jardins partagés et des fermes pédagogiques (en lien avec les établissements scolaires dans les quartiers populaires) ; végétaliser les façades et les toits ; installer de ruches ; privilégier les circuits courts ; aider les commerces locaux ; lutter contre le gaspillage alimentaire…
Habitat. Œuvrer à la rénovation thermique de tous les logements et à leur mise aux normes, réquisitionner des logements vides ; favoriser la mixité sociale ; multiplier les logements étudiants ; proposer des W.-C. publics…