Créée en 2015, la plateforme Just coanime, au sein d’un réseau associatif local, des projets alternatifs de transformation sociale à Marseille. Ses champs d’action : l’habitat, la santé mentale et la grande précarité. Jean Régis Rooijackers, coordinateur de projet, rappelle les conditions spécifiques pour que l’éducation populaire soit accessible et utile aux plus fragiles.
La première condition est celle de l’endroit où porter de tels projets. En quoi ce paramètre est-il décisif ?
Pour avoir du temps libre, et pour pouvoir en faire quelque chose, il faut d’abord des lieux où l’on se sente protégé, à l’abri, accueilli. C’est une condition essentielle. Sans lieu de ce type, il n’y a pas de temps libre possible, juste de la survie. L’enjeu est donc de trouver des mètres carrés dans les interstices de la ville, et d’y créer des lieux de vie alternatifs où les gens peuvent, sereinement, nouer des liens, festoyer, célébrer, apprendre. Nous y parvenons grâce à des conventions d’occupation temporaire signée avec la mairie, à l’image de l’ancienne auberge de jeunesse des quartiers sud, devenue l’Auberge Marseillaise : un tiers-lieu en plein VIIIe arrondissement, soutenu par la ville et l’Etat, où sont accueillies 60 femmes et enfants vulnérables, et où ont pu s’épanouir des projets d’éducation populaire (lire notre reportage).
Quels sont-ils, dans ce cas précis ?
A l’Auberge Marseillaise, on a par exemple créé un centre aéré hebdomadaire in situ : tous les mercredis et durant les vacances scolaires, directement sur le site, les femmes bénéficient d’un lieu sécurisé et apprenant où laisser quelques heures leurs enfants de 6 à 12 ans. Il est animé par la Ligue de l’enseignement, et permet aux mères de disposer elles-mêmes d’une forme de temps libre. C’est une démarche qui nous tient à cœur : qu’agissent, au même endroit, éducation populaire et travail social.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que l’interdisciplinarité produit de meilleurs résultats, des dynamiques collectives plus sensées. Il est impératif de sortir de la logique de silos, qui met à part le travail social et l’éducation populaire. Oui, ce sont deux métiers différents -j’ai été éduc spé et je peux en témoigner —, mais ces métiers vont ensemble. Ils doivent partager les ressources et les mètres carrés dans l’intérêt des personnes accueillies. Nous croyons beaucoup à cette approche plurielle, à la nécessité de faire alliance pour naviguer dans une société complexe. L’Auberge est un bon exemple : neuf associations différentes y travaillent ! Dont, pour le volet éducation populaire et jeunesse, la Ligue de l’enseignement et ses animateurs formés.
JUST insiste beaucoup sur la coconstruction. Que permet-elle ?
Nous défendons en effet, dans nos lieux de vie, le partage du pouvoir ; entre les associations, et avec les personnes accueillies. Le but est de mettre ces dernières au centre des projets, les rendre actrices, les considérer comme des capacités à agir. A l’Auberge, il y a une agora des femmes et une agora des enfants, pour débattre et décider ensemble. On a tel budget disponible, que veut-on en faire ? Dans quel service ou équipement veut-on l’investir ? Idem au GR1, un lieu ressource solidaire pour les jeunes exilé·e·s, ouvert en 2024 dans le IXe arrondissement de Marseille. Ce sont les jeunes qui ont décidé, par exemple, des activités qu’ils voulaient en priorité avoir sur place : boxe et muscu. Le partage du pouvoir et de la décision permet de répondre à des besoins et des aspirations réels. Nous associons aussi, via des chantiers solidaires, celles et ceux qui y vivent à la transformation et à l’aménagement des lieux occupés, qui en ont souvent besoin. L’éducation populaire n’est pas qu’une question de loisir. C’est une aventure politique et collective.