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L'université Libé : tribune

Pas de transition sans justice fiscale, par Lucas Chancel

L'Université Libédossier
Pour lutter contre le péril climatique et investir massivement dans la décarbonation du pays, l’économiste Lucas Chancel préconise une meilleure répartition des efforts.
Au large de Cannes, le 15 mai. (Loïc Venance/AFP)
par Lucas Chancel, professeur affilié à Sciences-Po
publié le 30 mai 2023 à 14h22
Le 31 mai, Libération avec l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne lance un nouveau rendez-vous : «l’Université Libé». Une journée pour faire débattre les différents courants progressistes sur des sujets politiques structurants : l’Europe, l’énergie, le climat, les inégalités sociales, la justice fiscale. En partenariat avec le Crédit coopératif, ESS France, la Mutualité Française et la Fondation Jean-Jaurès. Inscription gratuite et obligatoire.

La France fait face à un triple défi inégalitaire dans le cadre de la transition écologique. Inégalités de pollution d’abord : en moyenne, les 10 % les plus aisés ont un niveau d’émissions de gaz à effet de serre deux à huit fois plus élevé que la moitié de la population la plus pauvre, selon que l’on prenne en compte les émissions liées à la consommation ou celles liées au patrimoine. Inégalités face aux impacts du changement climatique ensuite : les vagues de chaleur touchent de manière disproportionnée les classes populaires, souvent plus exposées et plus vulnérables à celles-ci. Inégalité des capacités d’action enfin : les 10 % les plus riches possèdent 60 % du patrimoine total en France et disposent donc de ressources considérables pour faire face aux dérèglements en cours, moyens que les plus modestes n’ont pas.

Que faire sur la base d’un tel constat ? Selon un récent rapport de France Stratégie, organisme dépendant de Matignon, la France doit dégager, a minima, 34 milliards d’euros par an d’investissements publics afin de décarboner le pays d’ici à 2050 et s’adapter à la hausse des températures. Compte tenu de notre constat, il semble logique de demander un effort fiscal particulier aux plus aisés pour financer ces dépenses. Cela aurait d’autant plus de sens que les ultrariches disposent d’un régime fiscal ultrafavorable après quarante années de dérégulation financière et de croissance des inégalités de patrimoine : les milliardaires payent en France moins de 2 % d’impôt sur le revenu, lorsque l’on prend en compte l’ensemble de leurs revenus économiques, ce qui va à l’encontre des principes élémentaires de justice fiscale.

Un récent rapport de France Stratégie propose une taxe très modeste sur le patrimoine des 10 % les plus aisés pour contribuer à ce financement. De telles propositions vont dans le bon sens même si elles arrivent bien trop tard par rapport à l’épisode des gilets jaunes. Avant même de demander davantage aux 10 % du haut, il faudrait déjà corriger l’extrême injustice fiscale au sommet de la pyramide. Mettre en place un impôt moderne et progressif sur la fortune des 1 % les plus riches, combiné avec une «exit tax», pourrait rapporter de l’ordre de 20 milliards d’euros par an dès l’année prochaine, même avec des taux modestes s’échelonnant de 0,5 % à 3 % du patrimoine net.

Cynisme

Les Français ne s’y trompent pas quand près de huit sur dix d’entre eux plébiscitent un impôt sur la fortune. A l’heure de l’accélération du changement climatique et des besoins de financement de la transition, refuser tout débat sur la fiscalité des plus riches par principe, comme le fait le gouvernement depuis six ans, repose sur une idéologie totalement dépassée. Libre à chacun de défendre les privilèges fiscaux des plus aisés, mais le faire en prétextant l’intérêt général relève d’un cynisme qui ne fait qu’alimenter les extrêmes. La transition écologique ne pourra se faire sans une juste répartition de l’effort, et particulièrement en matière fiscale.