Conférences et débats, rencontres avec des biologistes, anthropologues, agriculteurs, écrivains… Du 13 au 15 octobre à Rouen, la fédération Biogée organise les journées «Naturellement !» Thématique de cette deuxième édition : les microbiotes, indispensables microbes pour la santé et l’environnement.
Le problème est la solution… Voici un principe de permaculture qui ne manque pas d’étonner voire, de contrarier les personnes qui débutent en la matière !
La permaculture peut-être définie, non comme une technique agricole, mais plutôt comme une science du design, de la conception, ancrée dans une éthique forte, qui connecte différentes disciplines afin de pourvoir à tous les besoins des êtres humains. Ce faisant, elle n’altère pas le vivant mais au contraire, en se basant sur les enseignements nés de l’observation de la nature, met à profit l’intelligence humaine pour protéger et même améliorer l’environnement. Pour dire les choses autrement, la permaculture c’est du biomimétisme : on s’inspire de la nature pour résoudre des problèmes et élaborer des solutions.
En tant qu’agricultrice, ce principe du «problème est la solution» m’a, tout d’abord, laissée dubitative et dans l’incompréhension. Ce sont les limaces qui m’ont fait miroiter des pistes de compréhension. Mon problème était d’en avoir un nombre tellement impressionnant à la ferme, que celles-ci en mettaient en péril l’équilibre économique, dévorant carottes et salades au printemps avant même qu’elles n’aient germé ! Ma réflexion, partant du problème limace, m’a fait rapidement arriver à la solution : les micro-organismes. Enquêtant en effet sur les raisons de la présence des limaces en nombre, il m’a fallu comprendre leur rôle et les raisons qui les attiraient dans mon écosystème. Découvrant qu’elles étaient là pour décomposer la matière, je me suis intéressée aux autres décomposeurs afin de mieux comprendre ce déséquilibre dont les limaces sortaient largement vainqueurs. Et c’est alors que j’ai pénétré dans le monde fabuleux des bactéries… les bonnes bactéries.
Et quels merveilleux alliés, pour nous paysans, que ces micro-organismes incluant les bactéries et les champignons. Ils réalisent un très grand nombre de fonctions, impliquées par exemple dans la minéralisation des matières organiques, le cycle de l’azote, la disponibilité du phosphore ou même dans la dégradation de molécules phytosanitaires. Grâce à eux, la productivité est améliorée, les plantes sont plus résistantes aux maladies, ravageurs et évènements climatiques extrêmes.
Savoir paysan
A peine avais-je compris que champignons et bactéries en synergie étaient les meilleurs alliés d’une agriculture naturelle, que je me suis empressée d’acheter des solutions de micro-organismes bénéfiques pour le sol et mes légumes et arbres. Je pulvérisai donc celles-ci sans savoir exactement les souches que contenait le produit commercial, ni lesquelles survivraient dans mon sol et avec des conditions climatiques normandes. Très vite, je me suis interrogée quant à la pertinence de cela. En continuant à chercher, j’ai découvert l’agriculture naturelle «à la coréenne» et nombre d’autres traditions qui avaient, au fur et à mesure des siècles, entretenu un savoir paysan de réalisation de préparations bonnes pour la terre et les plantes, à base de micro-organismes, prélevés à même leur sol ou grâce aux végétaux autochtones. Et c’est là, que telle une sorcière sans laboratoire, je me suis mise à faire des solutions de micro-organismes efficaces dans ma cuisine.
Bien que n’ayant aucun bagage scientifique, la logique me semblait pourtant simple. Mêlant les données scientifiques les plus actuelles, bien que très partielles sur le sujet, les savoirs ancestraux dont j’avais pu retrouver trace et mon intuition, je me suis prise de passion pour ces mécanismes vitaux de base et pourtant fort mal connus.
Tandis que je prélevais mes échantillons de sol en différents lieux pour faire mes préparations, le constat a été évident : en modelant le paysage et en créant de nouveaux biotopes sur des territoires très importants, l’agriculture dite «moderne» a bouleversé l’ensemble des équilibres préexistants. Cela a entraîné une baisse de diversité des micro-organismes due à la simplification et aux variations rapide de la couverture végétale.
Réinstaller de la biodiversité
Mais le problème est la solution : en permaculture, on dit que comme la stabilité, la richesse et la résilience d’un système reposent sur la connexion entre ses éléments, si un problème survient, c’est qu’il manque une connexion entre certains éléments. Pour le résoudre, il faut relier l’élément qui pose problème à un autre, afin que le problème de l’un devienne la solution de l’autre. Il faut donc réinstaller de la biodiversité dans nos systèmes de production agricoles, dans nos paysages, afin que la logique écosystémique ne soit plus interrompue et que toutes les connexions entre les éléments du système soient garanties. Et nous parlons bien ici de diversité de plantes, d’arbres, donc de micro-organismes et de faune.
Reportage
Et ces bactéries dont nous retrouverons la diversité, si nous nous affairons à régénérer nos paysages, peuvent être utilisées pour tant d’applications. Je me suis jusque-là contentée de mener mes expériences dans le domaine agricole, mais je rêve du jour où, grâce aux bactéries, nous serons capables de transformer l’urine humaine en électricité (après son utilisation comme engrais azoté, ce qui est déjà fait) ; un nouveau métier aura émergé, proche du maître composteur, qui proposera ses services à chaque ferme pour concocter des solutions de micro-organismes liquides à base de souches locales, adaptées aux besoins de chacune ; nous utiliserons les bonnes bactéries pour dépolluer (cela commence à être mis en place) les sols, l’air ou l’eau ; les bactéries seront utilisées pour générer la chaleur de nos habitats l’hiver, etc.
Les champs d’investigation et expérimentation sont, vous l’aurez compris, vastes. Alors à quand une ferme/laboratoire qui, basée sur la connaissance des micro-organismes, permettra de façon simple, naturelle, sans processus énergivore, de boucler les cycles et utiliser nos ressources pour combler nos besoins, sans polluer notre planète ?